Est-ce que le spa fait vivre en 2024 ?

Par Florence KOWALSKI, Consultante Wellness et Rédactrice web bien-être et cosmétiques.

Dans un contexte de pénurie de main d’œuvre pour les spas, et de migration du statut de salariée vers celui de free-lance pour les spa thérapeutes, difficile de savoir ce que sera le « Future of Work* » du marché du spa.

Il y a quelques mois, j’ai lancé une enquête pour connaître les vrais revenus des free-lances en massage. L’objectif de cette enquête était :

de comprendre quels peuvent être les vrais revenus d’une free-lance en massage et de savoir si on peut réellement vivre de cette activité en ne faisant que cela ;

d’évaluer l’enjeu du business spa pour les hôteliers. Je pars du principe que, du taux horaire que l’hôtel accorde à la spa thérapeute pour une heure de soin en free-lance, nous pourrons déduire la considération de l’hôtelier pour l’activité de son spa. (A-t-on sincèrement envie de trouver des thérapeutes free-lances quand on les paie 17€ HT/h pour un CA de 90€ TTC encaissé auprès du client pour cette même durée ? En toute sincérité, je n’en suis pas sûre…).

Bref, un article 100 % politiquement incorrect pour permettre peut-être à ces deux mondes (free-lances et hôteliers) de mieux se comprendre et mieux travailler ensemble.

PARLONS CHIFFRES…

Voici une synthèse des tarifs collectés auprès de mon réseau Linkedin. Bien entendu, je ne cite aucune spa manager ni aucun établissement, cela ne présente aucun intérêt, mais je les remercie profondément pour leur retour. Ce sont eux qui rendent ce travail si riche :

Le vrai prix des free-lances en spa : est-ce que le spa fait vivre en 2024 ?

PEUT-ON GAGNER CORRECTEMENT SA VIE EN TANT QUE FREE-LANCE ?

Plusieurs constats :

La règle des 1 euros par minute de soin, une rémunération de 60€ TTC l’heure de soin soit 50€ HT n’est pas systématique. Or quand on construit un business plan avec une esthéticienne, on lui explique qu’elle ne doit en aucun cas facturer moins de 1€/minute pour espérer être rentable.

En dessous de ce montant, votre rentabilité va être compliquée sauf à enchaîner les heures (et encore…). Prenons l’exemple d’une spa thérapeute sur Lyon payée 30€ HT par heure de soin. Sur une base de 6 massages par jour le week-end (soit 360€ HT) et 3 par jour sur 3 jours de la semaine (270€ HT), cela représente un revenu de 630€ HT/semaine. Soit sur un mois de 4 semaines, un CA de 2 520€ HT. En déduisant 20 % de charges pour un auto-entrepreneur, on atteint environ 2 000€. En théorie, le salaire est viable, supérieur au SMIC (1 398,68€ au 1er janvier 2024) de 43 % (mais sans congés payés ni RTT.)

Le vrai prix des free-lances en spa : est-ce que le spa fait vivre en 2024 ?

Mais ce salaire est théorique car :

Il s’appuie sur des volumes de travail importants : en semaine la demande n’est pas forcément suffisante pour avoir 3 heures de soins par jour, et le week-end cela suppose d’être solide physiquement et de renoncer à ses samedis et dimanches.

– Or, en général, quand on quitte le salariat en spa, c’est pour avoir un peu plus de liberté sur ses week-ends et en soirée… Pas pour sacrifier au travail tous ses samedis et dimanches.
De plus, pouvoir enchaîner un tel nombre de soins suppose d’avoir peu de temps de transports entre les rendez-vous, soit, idéalement, travailler pour un seul et unique employeur. Or, ce genre de situation a toutes les chances d’être re-qualifié en salariat déguisé, ce que la loi française interdit.

Vous pouvez donc envisager de cumuler ce nombre d’heures à condition de ne pas avoir de dépendance économique envers un employeur unique. En d’autres termes, cela signifie générer son chiffre d’affaires avec au moins 3 employeurs sans dépendre de l’un d’entre eux à plus de 50 % (d’où le chiffre de 3.) Or, ces employeurs auront certainement besoin de vous aux mêmes horaires…

Compte tenu de ces éléments, il est objectivement compliqué de vivre décemment d’une activité de spa thérapeute free-lance si vous ne faites que ça et si vous travaillez à moins de 50€ HT de l’heure. Vous risquez de :
– vous épuiser physiquement et mentalement ;
– vous mettre dans l’illégalité ;
vous dégoûter de votre métier.

Quand on habite dans une petite ville de province avec peut-être un seul spa qui « impose » ses prix à des spa praticiennes free-lances en leur disant que c’est à prendre ou à laisser, il peut être impossible d’obtenir 50€ HT d’honoraires à l’heure. Dans ce cas vous pouvez :
– diversifier vos sources de revenus en sécurisant par exemple un salaire à mi-temps avec un travail alimentaire qui n’aura rien à voir avec le massage, mais ce peut être la meilleure solution si vous êtes vraiment dans un endroit isolé sans possibilité de vous déplacer ;
– envisager d’élargir votre zone géographique d’intervention, soit en vous rapprochant d’une gare, soit en investissant dans un véhicule : c’est une autre forme de sacrifice mais ça peut valoir la peine si cela vous permet d’aller chercher plus de clients ;
choisir de louer un appartement pas très loin d’une station de ski (beaucoup de colocations possibles) le temps d’une saison pour proposer vos services à des spas saisonniers qui ont d’importants besoins sur une période de temps réduite. Vous aurez des charges de logement et certainement un peu de déplacement, avec une charge de travail ponctuelle élevée, mais le chiffre d’affaires en vaudra certainement la peine (comme vous l’aurez constaté dans le tableau page précédente). La même stratégie est possible en été pour les régions balnéaires.

QUELLE STRATÉGIE METTRE EN PLACE POUR UNE EXPÉRIENCE CLIENT OPTIMALE ?

J’échange régulièrement avec des spas managers pour lesquelles j’ai la plus haute estime et qui paient leurs spa thérapeutes free-lances moins de 50€ HT/h. Certaines d’entre elles ne sont pas décisionnaires, d’autres se disent que si leurs free-lances acceptent ces tarifs, elles n’ont aucune raison de les augmenter.

Il n’y a bien sûr aucun jugement dans les réflexions ci-dessus. L’idée est simplement que chacun se rende compte de ce qu’implique un tarif horaire de 30, 40 ou 50€ HT pour la spa thérapeute qui gagne sa vie ainsi.

Le vrai prix des free-lances en spa : est-ce que le spa fait vivre en 2024 ?

Le nombre de spa thérapeutes free-lances a explosé depuis le Covid. Nombre d’entre elles, installées sur Paris, enchaînent les prestations à des tarifs élevés qui leur permettent d’envoyer de « grosses » factures chaque mois. Mais quand elles ont besoin d’un crédit auprès d’une banque qui leur demande d’avoir un CDI, le retour en entreprise est difficile car les salaires fixes qu’ont leur propose n’ont rien à voir avec le montant de leurs factures en tant que free-lances. À l’inverse, celles qui se retrouvent dans des régions où la demande est moins forte peuvent avoir envie de se reconvertir plutôt que de gagner très peu (une fois les charges enlevées et le « reste à vivre » confronté à l’inflation des prix du quotidien).

Ma conviction est la suivante :

– Bien masser demande de longues heures de formation et de pratique pour un travail exigeant physiquement et mentalement. Et cela se paie, comme n’importe quel travail de ce niveau de qualification.

Bien masser demande des heures de formation pour un travail exigeant et cela se paie

– En payant des spa thérapeutes free-lances sous un montant qui ne leur permet pas de vivre décemment de leur métier, la profession court le risque de se « vider » encore plus de ses bons éléments. Elles resteront tant qu’elles ne pourront pas faire autre chose mais finiront par se réorienter. Avec à la clé, au pire du turn-over, au mieux un manque d’engagement dans le travail qu’on trouvera trop peu valorisé (ou peut-être ce dernier point pourrait être le pire si on le regarde sous l’angle de l’expérience client qui en découlera…).

En sous-payant les free-lances, le spa risque de se « vider » encore plus des bons éléments

– À l’inverse, la spa thérapeute qui a la chance de vivre dans un lieu où le taux horaire free-lance dépasse les 60€ HT a raison d’en profiter ponctuellement mais ne doit jamais oublier que pour un spa, les charges fixes sont telles que le chiffre d’affaires qu’elle génère ne pourra en aucun cas se transformer en salaire le jour où elle décide de reprendre un poste salarié. Penser ainsi serait un non-sens économique absolu…

Finalement, qu’on soit côté spa praticienne free-lance ou côté spa manager, c’est à chacune de décider en conscience les honoraires free-lances qu’elle est prête à donner ou recevoir, en accord avec ses valeurs personnelles. Avec toujours une priorité absolue, quel que soit son choix : préserver sa santé physique et mentale.

*Concept qui a pour but de prédire les changements probables dans le monde du travail de la prochaine décennie (Définition Synapsis Groupe)