Par Galya ORTEGA. Depuis quelques années, les métiers du spa sont bousculés : on peine à recruter, les comportements et exigences du personnel sont de plus en plus complexes et même si on les trouve légitimes sur le fond, on ne sait comment y répondre, la formation se repositionne sur de nouveaux critères et avec tout cela, tout le monde a la langue de bois… Personnellement, je suis le « bureau des pleurs » où bon nombre de professionnels viennent se plaindre de difficultés qui leur semblent insolubles, mais j’ai aussi rencontré des personnes qui ont trouvé des solutions et ont confiance dans cette étape que nous traversons. Le temps est venu de prendre de nouveaux risques pour, au moins, vivre cette transition comme quelque chose de vraiment positif et trouver de nouvelles solutions pour l’univers du wellness qui a toujours le vent en poupe. Pour cet exercice, j’ai choisi plusieurs professionnels spécialistes à chaque fois d’un domaine : – Recrutement : Patricia Lupion (agence de recrutement) et Stéphanie Ribeiro (spa manager) confrontée au recrutement de son personnel, et Anaïs Ortega (directrice wellness pour un groupe hôtelier). – Praticiens spa : David Rousvoal et Caroline Chapelain. – Formation : Anne laure Messiasse (directrice de la formation internationale d’une grande marque de cosmétique), Christelle Caron (directrice de Détente Holistique Formation), et Sébastien Wild (fondateur et directeur du Prieuré des Sources et créateur des formations des Compagnons Wellness). L’ENFER DU RECRUTEMENT Je me souviens de l’époque à laquelle trouver un bon poste ou un bon employé n’était pas facile, mais il y avait des moyens efficaces et positifs. Mais ce n’est plus du tout le cas, on ne sait plus pour recruter ou postuler par quel canal passer : Pole Emploi ? Les plates-formes ? Envoyer spontanément des CV à des entreprises ? Le relationnel ? Instagram ? … Malgré l’offre et la demande qui sont pléthoriques, rien ne fonctionne. Du travail ? Il y en a : les offres d’emploi sont multiples et nombreuses et par ailleurs les demandeurs sont en quantités astronomiques ! Alors, que se passe-t-il ? Vocation, saturation et motivation Cette situation est préoccupante… Car à la base de tous ces métiers du spa (spa praticienne, spa manager, créateur de soins signature, formatrice), il y a de la passion, voire des vocations. Il y a un mot-clé à retenir : la motivation ! Tout a changé depuis la crise sanitaire et les confinements. Les gens ne veulent plus la même chose qu’avant. Ils ont envie de temps personnel, ils veulent donner à leur famille ou à leur couple, ils veulent vivre dans d’autres conditions. C’est normal et positif ! Et pourtant, malgré cela, leurs motivations diverses ne trouvent pas d’équilibre, ils ne savent pas faire ! Eh oui, avant c’était déséquilibré mais il n’y avait pas de choix. Les spa praticiennes travaillaient parfois jusqu’à l’excès : sept ou huit soins par jour, jusqu’aux tendinites, dos cassé et surtout une routine qui vide la tête. Souvent la rémunération n’était pas au niveau. Par exemple, à Paris, le salaire moyen est de 1300€ net/mois. Impossible de se loger correctement dans la capitale à ce prix-là. Donc, on habite en banlieue. Et quand le spa ferme à 21h, on prend le train de banlieue, on arrive chez soi vers 22h, vie de famille = zéro et le lendemain on repart vers 7 ou 8h. Franchement, il y a quoi se démotiver… Les codes ont changé ! Les attentes de chaque côté ont changé. Autrefois, lorsqu’on recrutait, la méthode d’évaluation psychologique était très efficace. On avait des employés au bon poste et heureux. Mais tout a changé. Actuellement, on recrute à partir de l’agenda. Les postulants ne cherchent plus à avoir des détails sur le poste. Non. Ce qui compte, c’est l’agenda ! Ils exigent de ne plus travailler le dimanche, voire tout le week-end et ils veulent finir tôt pour récupérer leurs enfants. Lorsqu’on est un spa hôtelier, c’est la quadrature du cercle. C’est-à-dire que le personnel est présent lorsqu’il n’y a pas de clients et lorsque le spa est fréquenté, le personnel est absent. Comment faire ? La période est complexe car elle correspond à une phase de mutation où beaucoup de gens se cherchent. TÉMOIGNAGE : PATRICIA LUPION, RECRUTEUR EN SPA « Recruter pour un spa urbain ou hôtelier est un sacré challenge, il faut s’accrocher ! En tant que recruteur, les difficultés viennent des deux côtés. Pour résumer : le spa cherche la perle rare (je travaille, je rentabilise, je suis payé au SMIC), les praticiennes et les managers cherchent la poule aux œufs d’or (j’ai tous les avantages, je suis bien rémunéré). Faites des efforts ! Premier constat et point commun entre les deux : vous devez fournir des efforts ! – Employeurs, vous devez respecter l’employabilité du praticien et ses limites physiques et humaines, accorder des salaires décents… – Et pour les salariés, vous devez respecter le cahier des charges de l’entreprise et générer du chiffre d’affaires. Voilà une réalité terrain qui parfois n’est pas aussi brillante que l’accueil d’un spa dans un 5*. Il y a des efforts à faire des deux côtés. Que voulez-vous ? Pour arriver à nos fins et toujours de mon point de vue de recruteur, il faut se poser les bonnes questions. Que recherchent les employeurs ? Que recherchent les employés ? Quels sont leurs points communs ? Le choix d’un poste est fait en fonction d’un besoin réel du salarié, le choix d’un candidat est fait en fonction de ce qu’il amène au spa. Passez par un recruteur ! Il est plus que recommandé de passer par un recruteur, nos services sont essentiels dans la quête d’un candidat ou d’un travail. Nous savons lier, accompagner et surtout motiver les démotivés de ce métier et il y en a beaucoup. Nous rassurons, prodiguons des conseils sur l’ensemble de la gestion d’un spa. Nous savons redonner du sens à un contexte professionnel qui en manque, qui s’essouffle. Le recruteur sait redonner du sens à un contexte professionnel qui s’essouffle Le service d’un recruteur représente un investissement qui varie entre 10 % et 30 % du salaire annuel du candidat en fonction de la rareté du profil. Le recruteur prendra en charge l’ensemble du process du recrutement et mettra en œuvre tous les moyens actuels pour arriver à ses fins : annonce, réseau, etc. Le recruteur rencontre les mêmes difficultés que vous pour recruter mais dispose de moyens et de temps pour le faire ! Et si, malgré tout, vous n’êtes pas convaincu d’intégrer en gestion humaine une personne compétente qui s’occupera à la fois de vos salariés et des recherches de nouveaux candidats, il ne faut pas passer à côté de la gestion humaine, gestion essentielle de la réussite d’une entreprise ». LE « SKETCH » DU CONTRAT QUI N’A PLUS AUCUN SENS Plusieurs personnes du métier m’ont raconté l’expérience suivante : après plusieurs entretiens, ça y est, on a trouvé enfin : la perle ! Et le postulant semble déterminé et content. On se met d’accord sur la date de signature du contrat. Mais, le jour de la signature, la personne ne vient pas, sans justificatif, ne répond plus au téléphone, ni au mail. Pire, la personne signe le contrat et ne vient pas le lendemain pour l’embauche ! Ou encore, vient un jour et ne vient pas le lendemain sans prévenir. On devine qu’il y a abandon de poste sans qu’il y ait eu le moindre souci avec quoi que ce soit… Le problème de l’engagement C’est une vraie question sociétale ! Pas seulement dans les métiers du bien-être. Tout le monde veut être libre à tout prix et en tout domaine. Et nous, nous devons trouver des solutions pour stabiliser nos équipes. Quel défi créatif ! Aucune séduction ne fonctionnera. Au lieu de nous plaindre, il faut organiser de vraies réunions de créativité pour développer de nouvelles pistes d’engagement et de nouveaux contrats. Réfléchissons-y. Au lieu de nous plaindre, il faut développer de nouvelles pistes d’engagement TÉMOIGNAGE : SÉBASTIEN WILD, FONDATEUR DU PRIEURÉ DES SOURCES ET CRÉATEUR DES COMPAGNONS WELLNESS « Tous les dirigeants du monde du wellness vous diront qu’il est devenu très difficile de recruter et encore plus de fidéliser, sans parler de la formation qu’il faut prodiguer pour atteindre le niveau d’excellence désiré. Trop souvent, on ordonne ces deux étapes de la manière suivante : 1 – Je recrute car j’ai besoin de collaborateurs. 2 – Je forme ces nouveaux arrivants afin qu’ils correspondent aux standards de mon spa en le déléguant la plupart du temps (curieuse méthode selon moi). Au Prieuré des Sources, nous avons pris une voie différente. En créant les Compagnons Wellness, c’est-à-dire en s’inspirant des méthodes et de la démarche des Compagnons du Devoir, j’ai créé un tamis permettant de rencontrer des profils ayant d’autres intérêts, que juste celui de trouver un emploi. Elles ou ils viennent vivre une aventure humaine qui a démarré à l’époque des bâtisseurs de cathédrales et dont ils sont à présent les acteurs en s’inscrivant dans le temps long. Ils viennent découvrir un esprit, adhérer à des valeurs, puis apprendre une méthode avec curiosité et constance. On ne vient pas chez moi pour avoir un emploi mais pour apprendre un métier. En effet, un emploi se perd, un métier jamais. La formation au Prieuré des Sources comporte deux étapes : – La première permet d’acquérir les bases techniques propre à la marque permettant à l’aspirant Compagnon de partir en « expérience ». Elle dure a minima un an. La seconde étape ne connaît pas de date de fin, elle dure le temps de sa présence chez les Compagnons Wellness, donc a minima plusieurs années et permet de franchir trois caps le menant aux Compagnons Wellness grade trois. Ce grade ultime repose sur le savoir-faire, le savoir être et le faire savoir. On ne vient pas chez moi pour avoir un emploi, mais apprendre un métier. Un emploi se perd,un métier jamais Donner du sens La formation en France est un tronc commun, aussi je crois qu’il appartient à chacun après avoir été diplômé, de se mettre en chemin pour apprendre vraiment ce qui lui correspond, sa spécialité qui lui permettra de s’épanouir en portant haut sa différence, donc sa valeur ajoutée. Il n’y a que deux conditions préalables à l’apprentissage : que ça nous plaise et que ça semble utile à apprendre. Le reste, c’est du travail et de la sueur. Je crois donc qu’il est urgent d’intégrer pour les dirigeants de notre secteur que le sens est au moins aussi important que le poste ouvert et sa rémunération. Travailler en « humain » pour toujours privilégier la compréhension et le ressenti, voilà selon moi la clé. Je conclurai en pointant que des deux côtés du fleuve, le sens et le but sont les atouts pour enfin créer ce pont qui reliera les deux rives. » LA FORMATION SUR LA SELLETTE La formation est la base de la qualité dans un spa. Même si les praticiennes sont diplômées, il leur faut apprendre les protocoles spécifiques au spa, se régénérer en affinant certaines facettes de la pratique, étudier une nouvelle marque de cosmétique, se former à la vente, à un meilleur accueil, s’améliorer dans les bonnes postures et l’autoprotection. Mais la grosse difficulté, c’est que, de plus en plus, on ne trouve de personnel qu’en auto-entrepreneur et elles ne sont pas motivées pour venir en plus de leurs soins pour progresser dans leur pratique professionnelle et il est toujours compliqué de financer des formations pour un personnel aléatoire et pas stable dans l’entreprise. Les retours de formatrices J’ai eu des conversations avec plusieurs formatrices : formatrices indépendantes, formatrices de marques ou directrices d’école qui partageaient avec moi leur perplexité devant l’évolution de ce métier. Voici leur retour : les formations s’annulent en série, Il n’y a plus d’argent pour cela dans les spas, les charges sont trop lourdes, les financements par les OPCO sont très réduits et, même lorsqu’un spa investit dans une formation, les praticiennes refusent de réviser… Apprendre un protocole ne suffit pas pour le maîtriser. Les formations longues sont la clé de la qualité, mais comment trouver le temps et justifier auprès de la direction cet investissement non rentable dans l’immédiat ? Apprendre un protocole ne suffit pas pour le maîtriser Le cas Qualiopi Ces professionnelles de la formation pointaient que malgré le cadre légal de Qualiopi qui en principe exige un certain niveau de qualification pour enseigner, il y a de plus en plus de formations « low cost », avec des gens peu qualifiés, des autodidactes ou simplement des praticiens qui connaissant un protocole de massage qu’ils enseignent. (Précision : Qualiopi est un outil qui permet de calibrer l’administratif lié à la formation dans son cadre légal. Aujourd’hui, le gouvernement exige le label Qualiopi à quiconque devient centre de formation de manière légale, c’est-à-dire avec un numéro de formateur octroyé par la DREETS). Faut-il toujours se former ? Entre manque de temps, manque de motivation et manque d’argent, comment fait-on ? Le souci est qu’avec ce creux de vague de la formation ces dernières années, nous en arrivons à une remise en question de la légitimité des formations : les gens s’improvisent dans ce métier sans réelle qualification et sans même se rendre compte qu’ils ne sont pas à la hauteur, on remet en question la valeur et l’intérêt des formations, on vit dans l’instant présent sans se donner les moyens de progresser vraiment. Heureusement, il y a des organismes de formation qui prennent des risques et effectuent un travail formidable ! TÉMOIGNAGE : CATHERINE BOURGEOIS, CO-FONDATRICE ET DIRECTRICE DE L’ACADÉMIE DES FACIALISTES « Tous les jours, nous recevons pour l’Académie des Facialistes, des appels qui se renseignent sur le contenu et le volume du programme dispensé dans notre établissement. Certaines de ces personnes sont surprises du nombre de jours qui accompagne notre cursus Facialiste®. Souvent, elles nous parlent d’autres centres de formation qui, pour elles, offrent la même formation et ce, dans un temps beaucoup plus court. La réponse dans ce cas commence toujours par une question : Quel est l’objectif que vous recherchez ? En tout cas, pour l’Académie des Facialistes, il se résume ainsi : proposer une offre de formation pour que chacune de nos élèves puisse répondre avec fierté et professionnalisme aux plus exigeantes attentes de leur clientèle. Formation longue VS formation facile et pas cher Il est compréhensible de nos jours que l’on puisse chercher à apprendre rapidement avec l’aide parfois de nouveaux supports comme les visio-conférences, ou s’imaginer qu’un métier qui offre tant de capacités ou de débouchés puisse s’acquérir sans effort, mais rappelons-nous que la connaissance des esthéticiennes en spa est intense, riche, multiple et bâtie sur une formation diplômante. Le geste de la facialiste est juste, précis et sûr. Ce geste ne peut s’acquérir et s’appliquer sans un savoir solide et une dextérité remarquable. Je peux comprendre que cela soit en totale contradiction avec des organismes qui laissent croire que l’apprentissage de telles techniques puisse se faire rapidement et sans technicité, ou que l’envie ou la nécessité du facile et du pas cher constitue un argument d’excellence. Mais ne nous y trompons pas, la formation dispensée est un contrat d’objectif que l’organisme passe avec son apprenant, qui lui-même conclut un engagement de qualité avec son client. De la rigueur avant tout ! Ne sommes-nous pas tournés vers le bien-être et le service à la personne ? N’avons-nous que peu de fierté pour ne pas exiger que l’on reconnaisse nos compétences et l’engagement qui est le nôtre ? Notre métier est un métier de service. Il doit être réalisé avec sérieux, rigueur et surtout beaucoup de bonheur. La formation que nous dispensons à l’Académie ne peut s’entendre qu’en tant que porteur de sens. L’ingénierie de formation n’est pas un vain mot, il reflète l’exigence de formation. Je ne veux pas faire de catastrophisme, ni poser un diagnostic sans retour mais je me permettrai, sur la base du concept facile « si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit », de rappeler que l’effort se reconnaît très rapidement, s’apprécie à sa juste valeur, garantit le respect et nous remplit de fierté. Cet effort doit être la marque de toute bonne entité de formation. L’exigence se décrète, les moyens se définissent et les résultats attendus et ainsi obtenus nous définissent. » LES SPA MANAGERS : ENTRE SOFT KILLS ET AUTORITARISME Avant, c’était difficile Avant, c’était déjà difficile, il fallait avancer dans le management du spa sans vraie formation, en se prenant tous les murs, du côté des patrons, du côté du personnel, sans parler du surmenage, de la perte de confiance et la vie personnelle réduite au minimum sous la charge de travail, il n’y avait pas de points de repères… Aujourd’hui, c’est encore plus difficile Actuellement, on peine à recruter des spa managers. Et pourtant, il y a de l’offre et de la demande. Donc qu’est-ce qui ne va pas ? Nous le savons depuis l’origine : la spa manager est un véritable « couteau suisse » ou un « mouton à 5 pattes » qui doit diriger le personnel, gérer les relations avec la marque de cosmétiques, veiller à la formation des équipes, équilibrer les stocks, superviser les plannings, rentabiliser le spa et travailler en harmonie avec l’hôtel, les équipes et la direction. Mais, au-delà de cette tâche déjà pharaonique, la spa manager doit gérer le marketing, la communication et la relation avec la clientèle. La responsabilité est énorme. Il faut avoir la compétence et les épaules solides. Passons sur la non-reconnaissance à laquelle elles sont souvent confrontées et le salaire qui ne correspond pas à ce cahier des charges. De plus, elles reçoivent des injonctions contradictoires. Les soft kills sont à l’honneur et c’est bien. De tout côté, le management bienveillant est la recette miracle incontournable. De l’autre côté, il faut du cadre, de la structure et de l’autorité qui sont mal perçus par les praticiens qui ne veulent justement pas de cadre. Il est évident que tout cela représente une vraie crise dans les métiers du spa. Le présent est déstabilisant. Mais des pistes nouvelles se dessinent vraiment. Nous reprendrons ce questionnement lors du Congrès International Esthétique & Spa dans le Village Spa, le dimanche 14 avril 2024, sans langue de bois, avec lucidité et envie de vraiment avancer.