L’insécurité en cabine : Les témoignages

Par Doriane FRÈRE.

61 % des professionnels du bien-être auraient déjà été agressés en cabine, dont 8 % avec violences physiques* ! L’insécurité en cabine n’est pas anecdotique mais demeure pourtant tabou… Des professionnels de l’esthétique et du spa témoignent pour cette enquête.

L'insécurité en cabine : Les témoignages

VOUS AVEZ LES MAINS DOUCES…

L’ambiance tamisée d’une cabine de soins peut être un terrain propice aux clients mal intentionnés. Et bien souvent, les praticiennes ne sont pas armées pour faire face aux situations d’insécurité qui peuvent avoir lieu, comme le confie Margaux, spa manager en région parisienne : « La première fois que j’ai été victime d’une situation d’insécurité en cabine, c’était en 2015, j’étais à l’époque salariée dans un spa. L’homme venait pour un massage relaxant d’une heure et demie. Ce monsieur m’avait demandé beaucoup d’huile, appliquée avec une pression très légère. Par professionnalisme, j’ai appuyé un petit peu pour mon massage mais cela ne lui convenait pas. Je suis partie sur un massage californien. Je commence toujours par l’arrière du corps, les jambes, puis je remonte sur le dos. Au niveau des pieds, des cuisses, des mollets, je n’ai eu aucun problème. J’avais cependant quelques commentaires du type : « Vous avez les mains douces ». Je répondais que c’est parce que je faisais beaucoup de gommages aux clients. C’est une fois arrivée sur la zone du dos qu’il a commencé à bouger. Je lui ai demandé alors s’il était bien installé, si tout allait bien… Il continuait de bouger…

Une situation confusante

Il est à ce moment très difficile de se rendre compte s’il se passe réellement quelque chose ou si on imagine des choses… Je voyais concrètement que ce n’était pas la même détente qu’au début… Il se frottait sur la table, j’étais pétrifiée, je continuais malgré tout le massage pour ne pas me focaliser sur ses gestes. Une espèce d’angoisse m’envahissait, je ne savais pas comment réagir, et je suis restée. Mais j’avais décidé que s’il me touchait, je sortirais de cabine. J’ai arrêté le massage du dos, il s’est retourné et je ne lui ai massé que les bras et le cuir chevelu. Mais au lieu d’un massage d’une heure et demie prévu, je n’ai fait qu’une heure et 5 minutes. Je suis sortie de cabine. Il a très bien compris qu’il n’avait pas bénéficié de l’entièreté de son massage. Je n’ai pas voulu le recroiser, je suis partie directement dans le bureau de ma directrice afin de lui expliquer ce qu’il s’était passé. Je me souviens qu’elle m’a dit : « Mais vous n’étiez pas en danger puisque vous n’êtes pas sortie tout de suite de cabine ! », cela m’a mise très mal à l’aise. Mais le malaise était tel que je n’ai pas su comment réagir…

Le malaise était tel, que je n’ai pas su comment réagir…

L’absence de formation

Que ce soit à l’école, en spa ou en formation, on ne m’a jamais préparée à faire face à ce genre de situation. On nous dit qu’il faut avoir une main ferme, adopter un langage un peu plus froid avec les hommes, mais c’est tout. J’ai depuis renforcé ma vigilance. Aussi, lors de la prise de rendez-vous, je demande aux réceptionnistes, lorsqu’il s’agit de clients masculins, d’expliquer que certains massages ne sont pas pratiqués sur les hommes. On oublie le californien et on privilégie le lomi-lomi, les massages plus profonds ».

LE CLIENT EST REVENU À PLUSIEURS REPRISES…

Pauline Virat, praticienne indépendante, a également subi un comportement inapproprié de la part d’un client en cabine. Elle avait 23 ans au moment des faits et cela faisait quatre ans qu’elle était spa praticienne : « Mon client devait recevoir un massage californien de 50 minutes du corps entier. Le massage s’est déroulé correctement quasiment jusqu’à la fin, puis au moment du massage sur le ventre, il s’est mis à me regarder et formuler une demande très indécente ! J’ai simplement répondu qu’ici c’était un spa bien-être et que je ne faisais absolument pas de pratique sexuelle, ce à quoi il m’a répondu : « Ce n’est pas la peine de vous vexer… ». Puis, il a continué à tenir des propos indécents et redemander certaines choses en insistant lourdement ! Je me suis sentie très mal à l’aise, et étant seule dans le spa avec lui, je n’étais pas rassurée. C’était la première fois que cela m’arrivait ! Suite à cela, je lui ai demandé de remettre ses vêtements, régler son massage et de s’en aller immédiatement. Par chance, il s’est exécuté. J’ai arrêté le massage cinq minutes avant la fin. L’été d’après, ce même client est revenu pour un massage, l’ayant reconnu, j’ai refusé. L’été dernier, il est à nouveau revenu en me contactant directement par message pour la réservation, pensant que je ne le reconnaîtrai pas, mais je l’ai reconnu… Bien que n’étant pas rassurée, et très certainement tremblante, j’ai su garder mon calme et l’envoyer vers la sortie avant son massage sans me laisser faire. Je n’ai jamais été formée pour réagir face à ce type de situation…

L'insécurité en cabine : Les témoignages

Le besoin d’être formée

Je pense que ce serait une bonne chose que les entreprises fassent une piqûre de rappel concernant le comportement que l’on doit adopter, surtout pour les nouvelles recrues et les jeunes dans le métier car on n’est jamais à l’abri, même avec l’expérience. Désormais, je suis beaucoup plus méfiante quand je reçois de la clientèle masculine, et ça ne devrait pas être le cas, malheureusement… Je fais désormais attention aux zones que je masse chez les hommes, j’ai tendance à être un peu plus froide. À domicile, je n’accepte plus les hommes sauf sur recommandations… ».

LE CLIENT A SORTI UNE LIASSE DE BILLETS…

Lisa Chargé est praticienne au Spa Cinq Mondes du Club Med Val d’Isère. C’est en février 2017 que Lisa a fait face à la demande désobligeante d’un client, à l’époque âgée de 25 ans. Et tout comme ses consœurs qui témoignent dans cet article, elle n’a pas su comment réagir : « Le client devait recevoir un modelage relaxant du corps. Il est arrivé nu sous son peignoir, prétextant une allergie aux sous-vêtements jetables. Je savais que dans certains pays les clients ont coutume de se faire masser nus, sans arrière-pensée. Je n’avais jusqu’alors eu aucun problème. Le client était étranger, nous communiquions en anglais. Il a sorti une liasse de billets, plusieurs billets de 50 euros, bien trop pour un simple pourboire…

J’ai fait semblant de ne pas voir et j’ai commencé le massage. J’ai débuté par les jambes, il était allongé sur le dos et a retiré le masque de graines posé sur ses yeux pour me regarder le masser. Je lui ai remis le masque sur les yeux car gênée de le voir m’observer, tout en sachant qu’il était nu sous sa serviette… Je suis ensuite passée au bras droit. Il a retiré à nouveau le masque et m’a pris le bras en me demandant si j’étais française. Je lui ai répondu par l’affirmative et il m’a demandé : « How much do you want for more ? (Combien voulez-vous pour plus ?) ». Je lui ai répondu que j’étais là seulement pour effectuer le massage, c’est tout. Il n’a pas lâché mon bras et a insisté en répétant sa demande. Je suis sortie de la cabine en lui disant que j’allais revenir sans en avoir l’intention. Je suis allée directement dans le bureau de la spa manager. Elle m’a demandé si je me sentais capable de lui dire de partir, je lui ai répondu tremblante que non. L’assistante spa manager y est allée pour moi. Il lui a dit que c’était une erreur, que j’avais mal compris, elle lui a alors fait remarquer la liasse de billets posés sur la table, le client est donc parti et le massage lui a bien sûr été facturé.

Des managers qui essaient d’accompagner leurs équipes

Lorsque ce sujet avait été au préalable abordé avec ma manager, la consigne avait bien été donnée de sortir de la cabine et de venir l’en informer. C’est donc ce que j’ai fait. Je pense avoir eu le bon comportement tout en n’ayant pas forcément eu de formation en école d’esthétique sur ce genre de problème qui peut arriver avec la clientèle masculine.

Un impact sur le travail…

Cette mésaventure a eu un impact sur ma façon de recevoir les clients. J’ai toujours peur d’être trop souriante avec la clientèle masculine et que mon sourire, seulement accueillant et commercial, soit perçu comme plus, comme un signal pour tenter ce genre de chose. En effet, ce client était déjà venu plusieurs fois dans la semaine et il n’avait rien tenté avec mes collègues… Alors, pourquoi moi ? Ai-je été trop souriante, trop accueillante, lui ai-je envoyé le mauvais message ? ».

CONCLUSION

Au travers de ces différents témoignages, nous pouvons donc, d’ores et déjà, tirer certaines conclusions :
– Les praticiennes ne savent pas toujours identifier une situation d’insécurité en cabine.
– Lorsque cela est le cas, elles ne savent pas exactement comment réagir.
– Les managers semblent peu informés sur la démarche à suivre, ou se sentent peu concernés.
– Lorsque les praticiennes sont seules au spa, elles ne se sentent pas en sécurité.
– Les praticiennes sont après cela méfiantes vis-à-vis de la clientèle masculine et craignent parfois de retourner en cabine.

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LES COMPORTEMENTS DÉPLACÉS DES HOMMES ET DES FEMMES

Cela fait huit ans que Xavier de La Garanderie est esthéticien. Malgré certains comportements déplacés auxquels il a dû faire face en cabine, il confie ne s’être jamais senti en insécurité : « J’ai réfléchi en amont au comportement à adopter dans ce cas et puis je suis un homme, on se sent peut-être moins en insécurité par rapport à une femme avec la question de la force physique… ».
L’esthéticien explique que les attitudes déplacées des clients et clientes sont différentes entre une femme et un homme : « Certains clients et clientes ont déjà essayé de me draguer en cabine. Ce n’est pas tout à fait la même chose entre les hommes et les femmes. Avec ces dernières, c’est beaucoup plus indirect. Dès qu’elles comprennent que vous n’êtes pas réceptif et que vous ne rentrez pas dans un jeu de séduction, elles abandonnent. Finalement, ce n’est pas gênant. Il suffit de ne pas être réceptif. Concernant les hommes, c’est différent. Ils peuvent être plus insistants. On peut, sans faire attention, mettre le ver dans le fruit en manquant d’une certaine rigueur… ».

Les formes d’agressions masculines

Thérapeute et formateur pour la marque Codage, Sébastien Bal travaille dans l’univers du bien-être depuis plus de dix ans. Il est également amené à former les nouvelles recrues de la marque. Selon lui, lorsque certains clients masculins s’adonnent à des comportements déplacés en cabine, cela prend plusieurs formes : « Soit le client va tenter le charme comme il le ferait n’importe où, soit il va tenter d’obtenir satisfaction avec de l’argent, ou encore il va essayer d’avoir le dessus par le pouvoir. Dans ce dernier cas, les victimes sont souvent des personnes impressionnables comme des jeunes praticiens qui sortent de l’école ou en stage. Quand on est jeune et que l’on vient d’arriver dans une entreprise, on se met une certaine pression en cabine et le client le ressent et peut en profiter. Ces tentatives sont d’autant plus inconfortables pour la victime lorsqu’il s’agit de clients VIP, voire de stars… ».

Les formes d’agressions féminines

Sébastien confie par ailleurs avoir été surpris lorsqu’il est arrivé dans le milieu du spa, de constater que les femmes peuvent également être à l’origine de comportements déplacés en cabine : « Je pensais à tort que c’étaient les hommes qui avaient le monopole en ce qui concerne les comportements déplacés en cabine. Les femmes peuvent être à l’origine de comportements déplacés. Et pour ce faire, les femmes me réduisent, moi, thérapeute, uniquement à mon caractère sexuel masculin. Alors, elles vont mettre en avant leurs attributs féminins afin d’exprimer leur désir. J’ai déjà retrouvé certaines clientes nues sur la table de soin, dans une position aguicheuse. D’autres m’ont déjà caressé la jambe ou les fesses ».

Les femmes peuvent aussi être à l’origine de comportements déplacés en cabine

Par ailleurs, Sébastien explique qu’au début de sa carrière, on ne le prenait pas au sérieux lorsqu’il faisait part d’un comportement déplacé qu’il venait de vivre avec une cliente : « Lorsque c’étaient mes collègues féminines qui étaient confrontées à un comportement déplacé d’un client, on black-listait ce dernier. Lorsque c’était moi qui témoignais, c’était pris beaucoup plus à la légère, y compris de ma part. C’est au bout de plusieurs années que l’on a commencé à me dire que c’était tout aussi grave et qu’il fallait que je n’hésite pas à faire remonter mes mauvaises expériences à la direction ».

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