Par Florence KOWALSKI, Spa Boosting.

La situation de crise créée par le Covid-19 a des conséquences opérationnelles directes sur les spas et centres de bien-être, conséquences qui vont fortement impacter une rentabilité déjà délicate. Gestes barrières et réorganisation managériale : des conséquences opérationnelles majeures.

Le premier lot de contraintes générées par l’apparition du virus est lié à la mise en place des gestes barrières. Les grandes marques hôtelières ont multiplié ces derniers jours les communications structurées et pour la plupart très complètes concernant les protocoles sanitaires mis en place dans leurs établissements pour accueillir leurs clients et permettre à leurs équipes de travailler dans les meilleures conditions possibles.
Parmi les démarches les plus abouties, citons le Peninsula Paris***** qui vient d’annoncer la nomination d’un « Hygiène manager » ou Hilton qui a présenté fin avril son programme visant à mettre en place un standard de propreté et de désinfection d’envergure dans ses établissements du monde entier en collaborant avec RB, fabricant de Lysol (n°1 des marques de désinfectants aux États-Unis) et Dettol (savons et produits anti-bactériens). La marque américaine a également annoncé qu’elle consulterait la Mayo Clinic (une fédération hospitalo-universitaire et de recherche américaine) pour développer des mesures renforcées ainsi qu’une formation des membres du personnel « afin d’aider les clients de l’hôtel à bénéficier d’un séjour toujours plus propre et plus sûr, et ce dans toute sa durée ».
Ces démarches sont d’envergure et illustrent la prise de conscience du fait que l’enjeu n’est pas simplement la lutte contre le Covid-19. Au-delà de la réponse à la crise actuelle, le monde hôtelier dans son ensemble nous montre qu’il a désormais intégré dans sa stratégie sanitaire le risque qu’à l’avenir une pandémie puisse venir bouleverser en quelques semaines l’ensemble de l’activité mondiale du secteur. Ces mesures « post-Covid » sont appelées à s’installer durablement dans cette industrie et il en sera de même dans l’univers du spa.

Le monde hôtelier a désormais intégré dans sa stratégie sanitaire le risque d’une pandémie

DES PROCÉDURES SANITAIRES PLUS OU MOINS ACQUISES

Les professionnels du spa, en France comme à l’étranger, ainsi que certaines marques de consommables esthétiques, sans oublier les enseignes d’instituts de beauté, ont également publié les nouvelles procédures sanitaires mises en place à compter du 11 mai. Notons que dans ce secteur un certain nombre de gestes barrières étaient déjà appliqués.
Ainsi, dès le CAP Esthétique, les règles d’hygiène « de base » sont imposées : lavage des mains et demi-bras devant le client avant et après chaque soin, désinfection aux lingettes bactéricides du « petit matériel » (pinces à épiler, repousse cuticules…), utilisation d’appareils de stérilisation UV pour le matériel sensible (ex : embouts divers, sondes des appareils utilisés avec certaines marques pour les soins visage), passage de lingettes désinfectantes sur la peau de la cliente avant de procéder aux épilations… De plus, les équipes portent une tenue vestimentaire et des chaussures dédiées censées ne pas sortir du spa (même si sur ce point un certain nombre de choses devront être « recadrées » car il n’est pas rare de voir des filles prendre une pause cigarette en tenue, à l’extérieur, avec leurs collègues… Si dans les faits, le temps pour se changer est insuffisant, certains usages devront nécessairement être adaptés).

À court terme : préserver sa rentabilité en intégrant les contraintes opérationnelles

UNE RENTABILITÉ AFFECTÉE PAR LES COÛTS SUPPLÉMENTAIRES

Néanmoins, compte tenu de la difficile distanciation sociale en soins, des mesures supplémentaires doivent être mises en place. Parmi les procédures annoncées par les différents acteurs du spa, on trouve notamment :
– le port du masque systématique avec changement chaque fois que nécessaire,
– éventuellement le port d’une visière de protection,
– le port du masque imposé aux clients,
– la désinfection complète de chaque cabine/chaque poste de travail après chaque passage : plan de travail, lit de soins, intégralité du petit matériel utilisé,
– la désinfection des poignées de portes avant et après chaque usage,
– les TPE (Terminaux de Paiement Électroniques) désinfectés à la lingette après chaque utilisation,
– une vitre en plexiglas en réception pour protéger les deux parties lors du paiement.
Certains spas de l’hôtellerie de luxe ont déjà publié leurs procédures spécifiques post Covid (SOP – Standard Operating Procédures) incluant notamment le marquage des stylos des employés pour que chacun(e) utilise uniquement le sien, la présente d’un stérilisateur UV en réception pour stérilisation de tout le matériel non professionnel chaque nuit, le marquage au sol pour assurer la distanciation sociale chaque fois que nécessaire, la désinfection toutes les heures du desk réception côté clients, un purificateur d’air HEPA (High Efficiency Particulate Air) en réception, la condamnation d’une partie des vestiaires pour respecter la distanciation sociale…
À ces mesures, s’ajoute la création d’affichages relatifs au rappel des gestes barrières, du processus de lavage de mains, des consignes à respecter par les clients dès leur entrée au spa… et bien entendu la formation de l’équipe par le/la spa manager car la responsabilisation de chaque membre de l’équipe sera stratégique dans la mise en place réussie de cette nouvelle organisation.
Ces mesures varieront d’un établissement à l’autre, d’un standing à l’autre, mais il est d’ores et déjà évident qu’elles auront un coût financier lié à l’achat de ces consommables supplémentaires. Compte tenu de la situation économique et des difficultés de la reprise, il ne semble pas raisonnable d’envisager, au moins sur le court terme, la répercussion des coûts sur les prestations. Ceux-ci resteront donc à la charge de l’hôtelier et impacteront forcément les coûts de revient des soins.

UNE RENTABILITÉ AFFECTÉE PAR LA RÉORGANISATION DU TRAVAIL

Une autre conséquence de la mise en place de ces mesures est la réorganisation du travail induite. En effet, le nombre de soins ouverts à la vente sera « mécaniquement » réduit par rapport à ce qui pouvait être proposé avant le 15 mars car :
– les temps de désinfection des cabines et matériels à prévoir après chaque soin seront du temps d’occupation praticienne qui ne pourra pas être alloué aux soins,
– les cabines doubles ne pourront plus être utilisées en duo (sauf peut-être dimensions très spacieuses),
– le nombre de clients pouvant être accueillis simultanément sera réduit, et même fortement selon la géographie des lieux (largeur des couloirs pour se croiser, possibilité ou non de créer un parcours permettant les entrées et sorties du spa par deux endroits différents…),
– conséquence du point précédent : une partie des équipes restera certainement au chômage partiel pendant quelques mois, le temps que l’activité puisse reprendre de façon complète, peut-être à la faveur d’un vaccin ou de possibilités de dépistage plus faciles pour permettre d’alléger la pression de cette stratégie sanitaire.
Ces éléments illustrent l’impact de ces changements sur le chiffre d’affaires soins et, par conséquent, sur la rentabilité du spa.

À court terme : préserver sa rentabilité en intégrant les contraintes opérationnelles

UNE RENTABILITÉ AFFECTÉE PAR LE CHANGEMENT DU PARCOURS CLIENT

Nous le répétons souvent dans ces colonnes, et tous les professionnels de l’hôtellerie le savent désormais, la vente de produits est absolument essentielle pour la génération de chiffres d’affaires « contributif à la marge ». Pour le dire de façon un peu triviale, on gagne beaucoup plus d’argent en vendant des produits qu’en vendant des soins. Néanmoins, pour vendre des produits, un certain nombre d’étapes sont très utiles dans le parcours client spa et les mesures mises en place vont impacter ce dernier.

À l’arrivée du client

Le process de vente commence en général quand le client arrive. Accueilli par la personne en réception, il est amené à patienter, idéalement pas trop loin des vitrines produits pour lui donner envie de s’en approcher pendant son attente. Désormais, il est recommandé d’aller chercher les clients en extérieur du spa et de condamner les espaces d’attente pour éviter que des clients puissent se croiser et pour limiter le matériel à désinfecter.
Cette première étape ne peut donc plus être mise à profit. Certaines marques prévoient dans leur procédure un affichage en vitrine indiquant au client que les produits sont disponibles à la réception du spa mais tester ou faire tester des produits dans ces conditions reste compliqué.

Durant le soin

De plus, les prestations facilitant les ventes sont les soins visage puisque les praticiennes ont alors la possibilité de présenter les produits en début et surtout en fin de soin après les avoir utilisés sur le client.
Or, comme indiqué plus haut, les soins du visage sous leur forme actuelle sont fortement remis en question en raison de la partie « modelage » et de la proximité des visages. Ils sont même parfois, de façon très radicale, supprimés de la carte des soins. Très logiquement, les ventes produits qui leur sont traditionnellement associées vont, par effet d’entraînement, enregistrer une baisse des ventes.

Il y aura inévitablement moins de soins et ventes de produits

En salle de relaxation

Enfin, le process habituel de vente prévoit une finalisation après le soin, soit en cabine, soit lorsque le client prend le temps de boire son thé ou son infusion en salle de relaxation. Maintenir ce dernier espace ouvert ne sera pas envisageable dans un premier temps car cela représenterait un endroit supplémentaire à désinfecter entièrement en complément de la cabine de soins. De plus, la présence d’un client en salle de relaxation, associée à l’arrivée du client suivant, entraîne un risque de « croisement » qui n’est pas acceptable.

La praticienne et la vente

Enfin, si une seule praticienne à la fois est autorisée à réaliser des soins, et compte tenu du fait que les équipements humides ne seront pas ouverts à la reprise, on peut penser que dans un souci de maîtrise des coûts, les équipes ne seront staffées qu’avec une praticienne unique qui ouvrira et fermera le spa après chaque client. Gageons que la salariée qui aura en charge la désinfection complète de la cabine et un agenda « millimétré » intégrant le raccompagnement d’un client à la sortie, les opérations de désinfection entre les soins et la prise en charge du client suivant, aura certainement d’autres préoccupations que de boucler une vente…
Ici c’est le chiffre d’affaires vente produits qui est affecté… et donc, là encore, la rentabilité.

À court terme : préserver sa rentabilité en intégrant les contraintes opérationnelles

À COURT TERME, QUELLES ACTIONS POUR PRÉSERVER LA RENTABILITÉ ?

Quelques actions peuvent être mises en place dès la ré-ouverture des établissements afin de « fluidifier » cette réorganisation et limiter au minimum les charges. Parmi celles-ci :

« Verrouiller » la procédure spa « post Covid-​19 » intégrant gestes barrières et procédures de désinfection de façon très claire pour que les équipes n’en fassent ni trop (car cela peut vite coûter cher en matériel et en produits désinfectants) ni pas assez (car il y aurait alors un risque de fermeture immédiate du spa).

Mener un vrai travail « d’éducation » avec les équipes d’une part pour les rassurer sur le fait que la procédure mise en place garantira leur santé car nombre d’entre elles expriment de fortes appréhensions. D’autre part, pour qu’elles puissent expliquer clairement aux clients, sur le ton le mieux adapté, ce qui peut être fait ou pas en termes de prestations. Comme indiqué plus haut, les clients seront forcément frileux et de nombreuses spa praticiennes expriment des craintes pour leur santé. Si ce travail « d’éducation » des équipes n’est ni clair ni convaincant, ces dernières n’auront pas l’impulsion nécessaire pour susciter ou, a minima, maintenir l’intérêt pour le spa le temps que l’épidémie disparaisse.

Gérer le planning de façon agile, au jour le jour au gré de la demande client, en limitant ponctuellement les recrutements (notamment saisonniers, en l’absence de perspective sur les prochaines semaines) et en recourant autant que possible aux free-lances pour optimiser la charge salariale.

Privilégiez les free-lance plutôt que les saisonniers pour optimiser la charge salariale

– Enfin, c’est peut-être le moment où jamais de sensibiliser les équipes à la réalité économique du spa et au rôle de chacune pour aider à passer cette période difficile : garder un discours positif, ne pas oublier de dérouler son discours de vente quelle que soit la prestation (même si ce n’est pas du soin visage), proposer un re-booking de façon systématique… Même si le flux de clientèle se tarit, cet état d’esprit peut maintenir la dynamique dont les spas auront besoin sur le court terme.

Ces éléments factuels ne sont pas exhaustifs car certains sont encore en cours de mise en place mais la lecture de ces quelques lignes permet de penser qu’à court terme, la réorganisation et les coûts induits par la gestion du Covid-19 vont fortement impacter le chiffre d’affaires et surtout la rentabilité du spa. Mais cette seule vision court terme serait très réductrice par rapport aux perspectives envisageables à moyen et long termes.

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« À moyen terme : refondre sa carte de soins pour répondre aux nouvelles demandes clients »