Par Galya ORTEGA, Spa Consultante d’expérience, spécialisée dans le positionnement stratégique des spas, soins intégratifs, création de soins signatures et formation du personnel, et Fabienne FARNETI, spécialisée en hôtellerie de luxe et bien-être, Consultante en exploitation et marketing spa, Luxury Attitude et Customer expérience. Il est de plus en plus complexe de transmettre les codes d’un « nouveau luxe » naturel, sans ostentation, chaleureux, mais en même temps adapté aux attentes des spas et de leur clientèle. Galya Ortega Je suis consultante du côté du soin, mon cœur de métier c’est de créer des massages et de les enseigner. Au fil de ma carrière, j’ai visité quarante pays et j’ai pu voir sur le terrain des expériences de professionnels qui sont dans le luxe ou qui croient l’être. C’est un sujet qui mérite d’être creusé. Une grande majorité de spas se développent au sein d’hôtels, plus ou moins cotés, étoilés. Les hôteliers attendent que le spa soit au niveau des codes de l’hôtellerie et ait une attitude particulière. Quand le spa s’est créé en France, il y a une vingtaine d’années, il s’est immédiatement positionné dans une image de luxe et donc était élitiste, recherché. Les spas se sont créés avec de beaux espaces, de belles décorations et avec une approche qui se voulait luxueuse. Pour beaucoup de clients, s’offrir un soin dans un spa est un luxe. Et je dirais même que c’est un luxe qui est abordable. Une heure de soin à 150 € ou 200 € n’est pas à la portée de tout le monde, mais ça peut être un beau cadeau. Même pour quelqu’un qui n’est pas d’un milieu aisé, se faire chouchouter pendant une heure ou deux dans un spa est une grande expérience qui tient à la fois au luxe et à l’expérience intérieure. Se sentir unique, c’est peut-être cela l’idée du luxe ? Notre intention c’est de vous donner des clés, des codes, des éléments sur le savoir-faire intelligent du luxe. Est-ce que ces codes sont si rigides ? Sont-ils les mêmes quelle que soit la population ? Font-ils partie d’une époque aujourd’hui obsolète ? QU’EST-CE QUE LE LUXE ? La notion du luxe est venue avec Louis XIV. Il a souhaité favoriser le savoir-faire français, c’est lui qui a développé l’artisanat. C’est à ce moment-là que le luxe s’est formalisé dans les produits, ce qui n’existait pas autrefois. Le XIXème siècle est devenu l’apanage de la bourgeoise, de ceux qui avaient de l’argent, jusqu’à arriver au XXème siècle avec le luxe qu’on enviait, les grands groupes de luxe comme Chanel, LVMH… Fabienne Farneti Il existe plusieurs définitions du luxe. Je ne suis pas sûre que celle du dictionnaire corresponde à ce qu’est le luxe aujourd’hui. Il s’agit de superflu, d’abondance, de cherté. Le luxe a évolué, c’est beaucoup plus fin que ça et c’est très lié à la dimension humaine. Coco Chanel disait « Le luxe n’est pas le contraire de la pauvreté mais c’est le contraire de la vulgarité ». Il y a vraiment une notion d’élégance essentielle. Galya Ortega De nos jours, beaucoup de personnes confondent luxe et bling bling et, là, nous sommes au cœur de la vulgarité. Les spas et les beaux hôtels sont devenus des symboles du luxe avec tout ce qui peut faire fantasmer les gens. Il y a les beaux espaces mais surtout le personnel qui vous aborde comme une personne unique. Dans les codes de l’hôtellerie, il y en a un qui consiste à mémoriser le nom du client et à l’appeler par son nom et pas par son prénom. Cela fait partie des codes de l’hôtellerie qui, petit à petit, ont été transférés au spa. Ces codes concernent des gestes, des manières de se poser, les vêtements, le maquillage, les mots pour exprimer le luxe. Je vais vous citer un exemple : j’ai dirigé des spa praticiennes qui étaient tatouées. Tant que ça ne se voit pas, ça ne pose aucun problème mais il existe des spa praticiennes qui ont les mains et les avant-bras tatoués. Quand vous leur dites que ce n’est pas possible, que le tatouage ne fait pas partie des codes, elles considèrent que vous empiétez sur leur liberté, et ça devient très compliqué. L’IMPORTANCE DE L’ÉMOTION Les codes dans un spa doivent faire rêver. Quand on parle de l’expérience du spa, il y a beaucoup d’émotions, et le luxe représente toute une partie émotionnelle. Bien sûr, il y a la composante physique. Je suis une thérapeute, je viens du massage et, pour moi, la meilleure partie du spa, c’est ce qu’il se passe entre la spa praticienne et moi, comment elle me fait du bien. Une spa manager, à qui je demandais ce qui était le plus important dans l’expérience client, m’a répondu : 50/50, l’accueil et la cabine. Si un client vient pour la première fois, il vient parce qu’il a entendu parler d’un bon massage, pour recevoir une expérience de bien-être, mais s’il revient c’est pour l’accueil. Si l’accueil ou la réception est ratée, tant au téléphone que sur le terrain, l’expérience complète est ratée même si son soin était bien. Fabienne Farneti Le client vient pour la marque, il achète le produit, le service, les soins, mais il revient pour les spa praticiennes, les réceptionnistes, le manager, pour l’humain, pour tous ceux qui l’ont accueilli et ont développé l’émotion. Le client vient pour la marque, mais revient pour la praticienne Galya Ortega La notion de bien-être, d’émotion, d’émerveillement, de nos jours, même si on la met à toutes les sauces, est une notion vraiment très importante, après quoi nous courons tous et toutes. Dans ce besoin d’être, l’émotion compte beaucoup. Fabienne Farneti Le spa est un métier de service, donc vous êtes au service des clients et encore plus dans un spa que dans un hôtel ou tout autre secteur d’activité, car il y a une notion d’intimité dans le spa, ce n’est pas rien ! Le client se dévoile, parle de lui, répond à vos questions alors qu’il ne vous connaît pas, se déshabille et reste avec vous pendant une heure dans la cabine. Donc, la notion de service est fondamentale. La dimension humaine dans un spa est la clé. La base, c’est l’aspect fonctionnel, le spa doit être beau. Vous connaissez tous les ingrédients pour faire un bon spa mais après, pour que votre client revienne et soit un ambassadeur fidèle, il faut lui faire vivre une expérience et qu’il ressente des émotions. Pour cela, chaque fois que vous allez le considérer, le reconnaître, l’appeler par son nom, lui sourire, le regarder dans les yeux, vous souvenir de ses préférences, fera que votre client ressentira une émotion. Il y a des choses très simples, le client peut ressentir des petites émotions qui font qu’il se sent comme à la maison, et il aura envie de revenir non seulement dans votre spa, mais surtout pour vous et votre prise en charge. Galya Ortega Fabienne Farneti vient de vous parler d’intimité, moi, j’aimerais vous parler de la notion de distance dans le milieu du luxe, savoir quelle est la bonne distance. Effectivement, le client est dans le lâcher-prise, la vulnérabilité et l’intimité, mais il ne faut pas tomber dans la familiarité, c’est un peu complexe. Je vais vous raconter une expérience : j’ai beaucoup enseigné au Maroc où la plupart des spa praticiennes posent la main sur le client. En France, nous sommes moins tactiles. Au Maroc, à la fin du soin, alors que j’étais encore nue dans la cabine, la spa praticienne m’a attaché mon peignoir pour me chouchouter. LES VRAIS CODES DU LUXE Souvent, des spa managers me demandaient comment faire pour enseigner à ces spa praticiennes les vrais codes du luxe. Il y a une vraie question qui se pose. Est-ce que la formation au luxe est un enseignement où les spa praticiennes vont apprendre d’une manière rigide comment se maquiller, se coiffer, quels mots prononcer ou est-ce qu’il faut garder son naturel ? Je répondrai : les deux. Quand on a un client dans un lieu prestigieux, il attend une attitude exceptionnelle et tous les lieux peuvent devenir prestigieux quand il y a cette attitude. Ça s’apprend. Fabienne Farneti Quand vous accueillez un client, vous êtes sur scène, il vous regarde, vous analyse et se fait sa propre opinion. Lorsque vous êtes sur scène, vous devez être vous-même. Si vous êtes trop dans les codes, dans vos process et vos standards, le client ne sera pas touché, il n’aura pas d’émotion. Il ne recevra pas de sincérité de votre part. Elle est pourtant fondamentale quand vous accueillez un client dans le luxe. Il est important que vous et vos équipes restiez sincères. Vous n’êtes pas forcément né dans le luxe. Rares sont les personnes qui travaillent dans le luxe en y étant nées et qui connaissent tous les codes de manière naturelle, donc forcément vous êtes obligé d’apprendre quels sont les bons codes en termes de gestuelle et de mots à ne pas dire ou à dire pour valoriser votre service. Galya Ortega Je voudrais parler du fait que la notion de luxe est considérée par les jeunes, qui sont plus dans un lâcher-prise, comme ringarde. J’ai travaillé dans un spa hôtelier de luxe, je dirigeais des jeunes qui considéraient qu’on pouvait tutoyer les clients ! Il y a des réceptionnistes qui font le tour du comptoir pour remettre en main propre un paquet au client, mais il y a aussi plus que cela. Il y a des réceptionnistes qui ne restent pas derrière leur comptoir et leur ordinateur pour accueillir le client et lui demander ce qu’il recherche comme soin : de la relaxation ou de la tonification, donc c’est de la gestion intelligente, adaptée. Il y a des règles mais ça ne veut pas dire qu’elles sont rigides. Fabienne Farneti Il y a beaucoup de codes mais l’idée dans le luxe c’est de faire des gestes ronds. Un exemple : si un client vous demande une direction, on ne tend pas le doigt mais la main, ce sont des détails. Ne marchez pas trop vite devant un client, c’est stressant, même si vous êtes pressé, vous devez gérer votre stress. Quand vous accompagnez un client, vous devez être à côté de lui, pas derrière, pas devant, sauf obligation, un escalier étroit ou pour entrer dans la salle de soins. Il faut être le plus à côté, proche de lui et le considérer tout en l’accompagnant. Galya Ortega En ce qui concerne le tutoiement, il y a des cultures où il est obligatoire. Il est normal de tutoyer le client, mais pour nous cela peut être choquant. Fabienne Farneti Au-delà du tutoiement, il y a de nombreux mots qui ne doivent pas être dits dans le luxe. Ainsi, « Il n’y a pas de souci » est devenu un tic de langage. Il faut dire « Je vous en prie », « Avec plaisir ». Donc, oubliez cette phrase qui revient tout le temps et qui est très négative. Vous pouvez aussi valoriser des mots qui sont corrects mais dans le luxe c’est bien d’essayer de trouver d’autres mots pour valoriser, sans être condescendant. Par exemple, au lieu de dire « marron » en parlant de la couleur, dites plutôt « brun ». Au lieu de dire « boire », dites « se rafraîchir », au lieu de « manger », « se restaurer ». Amusez-vous à réfléchir pour savoir comment dire quelque chose avec un peu plus de valeur émotionnelle. Pour votre client, c’est très agréable, soyez vous-même, en utilisant des mots un peu plus jolis que ceux du langage commun. Il y a des mots qui ne se disent pas comme « bon appétit » ou « Messieurs-dames », c’est une faute de langage. Des mots, expressions comme « Pas de soucis » doivent être bannis Galya Ortega Ce sont des codes à apprendre tout simplement.