Par Laure JEANDEMANGE. Stéphane Reumont est spa manager depuis 12 ans. Depuis 12 ans, il travaille pour le même établissement : le Beau Rivage Palace de Lausanne, un lieu mythique. Voici son parcours et sa vision du spa guidée par la passion du service. Stéphane Reumont LA PASSION DU SERVICE J’ai débuté ma carrière professionnelle en tant que guide touristique spécialisé dans l’architecture du Moyen-Âge. Puis, je suis tombé amoureux du golf et j’en ai fait mon métier en tant que professeur assistant et directeur assistant. Le fil conducteur de ma vie professionnelle a donc toujours été le partage de mes passions et le service client bien-sûr, parce que ma passion première c’est servir. J’aime servir, le contact avec les autres et faire en sorte qu’ils soient bien. Je suis arrivé en Suisse où je me suis vu confier l’ouverture d’un grand magasin de golf à Lausanne : de la gestion du projet jusqu’à son exploitation pendant deux ans. J’ai ensuite intégré la direction du groupe Grévin et Compagnie qui avait le Parc Asterix, le Musée Grévin et qui a racheté le parc aquatique suisse Aquaparc qui était en mauvaise santé. Là, j’ai intégré l’équipe de direction, en charge des opérations, j’ai revu tous les process pour l’accueil client, la sécurité, la boutique, la gestion opérationnelle du parc, le nettoyage… L’entrée dans l’univers du spa C’était intéressant sur le fond de remonter un produit comme Aquaparc mais le mass market m’intéressait relativement peu et j’ai eu la chance de tomber sur une annonce : «Recherche esthéticienne ou personne ayant de l’expérience en hôtellerie passionnée par le service, la beauté et le bien-être pour développer l’un des plus beaux endroits du monde». Je me suis immédiatement reconnu dans ce profil, j’étais même prêt à passer un diplôme esthétique ! J’ai rencontré le chasseur de tête à qui j’ai présenté ma vision du service, ma vision globale de la gestion d’un projet, ma culture de la clientèle et ma recherche pour atteindre l’excellence. Il s’agissait d’un poste pour le Beau Rivage Palace, le lieu correspondait à tout ce que j’aimais : le côté traditionnel, l’histoire, l’excellence, l’ambition, un endroit historique de plus de 160 ans auquel il fallait continuer de transmettre une tradition de service et amener en même temps un produit nouveau. Nous sommes en 2006 le spa et l’hôtellerie ne se connaissent pas encore. Des valeurs communes On m’a envoyé échanger avec Jean-Louis Poiroux de Cinq Mondes pour qui j’étais un extra-terrestre sans diplôme d’esthétique ou d’expérience dans la gestion d’un spa mais avec une culture du service et surtout une culture du membre grâce à mon expérience dans le golf. Les membres sont une clientèle très particulière à gérer, cette culture-là je l’avais et une esthéticienne, aussi bonne soit-elle, ne pouvait pas l’avoir. Organiser un spa ou n’importe quoi d’autre où l’on sert le client, pour moi, c’est la même chose, je vais écouter les attentes et adapter les services aux attentes du client. Cette vision est complètement transposable à n’importe quel endroit à partir du moment où l’on partage la même vision et la même notion d’excellence, ce qui était le cas avec Cinq Mondes, le Beau Rivage et moi. Nos valeurs communes nous ont rapprochés. L’AVENTURE SPA DÉBUTE Le Spa Cinq Mondes du Beau Rivage Palace avait ouvert en 2005, je suis arrivé dix mois après sa création. J’étais accompagné de dix personnes : cinq réceptionnistes, cinq thérapeutes. Le spa est une activité qui génère plus de charges que de revenus, peu de risques avaient été pris, les revenus étaient corrects mais sans plus. Le spa de 1 500 m² était magnifique avec neuf cabines de soin dont deux doubles, l’architecture quasiment parfaite. Le spa était franchisé Cinq Mondes, il avait été conçu en partenariat avec Jean-Louis Poiroux, c’était l’une de ses premières franchises, la marque était née quatre ans avant son arrivée au Beau Rivage. Il y a eu un gros investissement et un travail fantastique au niveau de la circulation et du design avec un produit qui avait vraiment une identité. Il a été reconnu parmi les dix plus beaux spas du monde par Forbes. Le produit était parfait, je devais juste l’organiser et mettre en place une stratégie de développement. Les premiers mois Il fallait homogénéiser l’équipe parce qu’il y avait une dissociation absolue entre la réception et les thérapeutes avec beaucoup de problématiques relationnelles, organisationnelles, un manque de communication entre ces deux métiers qui se côtoyaient mais ne se connaissaient pas : des esthéticiennes pures et des réceptionnistes. Mais avant d’homogénéiser, il fallait faire en sorte qu’aucun conflit ne puisse être vu, ni perçu par le client, j’ai donc mis des règles de fonctionnement en place. Pendant les quatre premiers mois, j’ai beaucoup regardé et appris à travers les entretiens individuels mais aussi les séances collectives. J’ai instauré une culture du dialogue en réunion collective avec un cadre de communication très clair. J’ai créé des process pour tout problème rencontré et, petit à petit, tout a été réglé : l’argent, l’équilibrage des plannings entre les soins corps et visage… Et au fur et à mesure, au sein de l’équipe, chacun est devenu attentif à l’autre, les thérapeutes ont expliqué leur métier aux réceptionnistes et elles ont profité de soins. Aujourd’hui, nous sommes vingt-sept collaborateurs et l’une de mes réussites est d’avoir mis en place une certaine polyvalence, j’ai trois réceptionnistes fixes qui sont purement réceptionnistes et j’ai des personnes formées en polyvalence aussi bien à la réception qu’en cabine. Nous sommes vingt-sept collaborateurs et l’une de mes réussites est d’avoir mis en place une certaine polyvalence Les premières années Les trois premières années ont été très riches… Pour arriver à un équilibre intéressant avec une dynamique commune, nous avons eu une amélioration continue mais la vraie culture est née après deux ou trois ans. Nous avons mis en place toute une structure de formation interne avec du soutien car c’est un métier émotionnel mais il faut aussi parler du concret et mettre des indicateurs précis en place pour mesurer la satisfaction client, la performance, les ventes. Objectif : devenir le meilleur spa du monde Pour faire comprendre à l’équipe le fonctionnement d’une entreprise, j’ai mis en place des tableaux de bord simples et visibles. À partir du moment où tout a été transparent, la machine s’est mise en place et l’équipe est devenue performante. Et la performance amenant l’ambition, nous avons mis en place une culture de la performance. Un an après mon arrivée, en fin d’année, lors d’une réunion de bilan global, j’ai demandé à l’équipe ce qu’on voulait faire, ce qu’on voulait être avec ce spa : «Nous avons le plus bel outil du monde et la plus belle marque du monde, nous voulons devenir les meilleurs du monde !». Voilà ce qui a été dit, je me souviendrai longtemps de ce moment. Notre objectif était de devenir les meilleurs des Cinq Mondes et les meilleurs du monde avec nos indicateurs, les standards de leading retail of the world, Leading Spa of the world, qui n’existait pas encore. La dernière année nous avons eu 99.6/100. Ma plus belle réussite Je suis très fier d’avoir réussi à créer une homogénéisation et un intérêt mutuel de tous les métiers car, après les thérapeutes et la réception, j’ai intégré l’équipe de nettoyage qui était gérée par la gouvernante, j’ai trois métiers au sein de la même équipe. Avoir rendu ces métiers interactifs entre eux, qu’ils s’entre-aident autour d’une culture commune est ma plus belle victoire. Et quoiqu’il arrive, cette culture de toujours s’améliorer restera, avec, ou sans moi. La vente de produits Quand je suis arrivé, une thérapeute qui vendait pour 500 Francs Suisses de produits par mois réalisait une performance incroyable. Aujourd’hui, une thérapeute vend en moyenne entre 1 500 et 4 500 Francs Suisses de produits. Et cela est possible parce que nous avons un bon produit et que nous faisons adhérer le client à notre philosophie. Nous sommes capables de faire un diagnostic professionnel totalement adapté en utilisant la qualité du produit qu’on a entre les mains. Pour faire adhérer le client à la philosophie Cinq Mondes, nous ne répétons pas des gestes machinalement mais nous le mettons dans l’atmosphère Cinq Mondes sublimée par le Beau Rivage. On le prend en charge, on l’amène dans un univers, on le comprend et ensuite on lui donne la réponse avec la culture Cinq Mondes. Nous avons un travail commun avec Cinq Mondes pour affiner cette relation client en mettant en évidence les forces de Cinq Mondes : la naturalité, la sensualité, la performance des produits visage. Dans un spa, il faut aller plus loin dans le diagnostic et l’explication. Aujourd’hui, le client n’a pas besoin de nous pour connaître les composants d’un produit, il a tout dans son mobile. La question n’est pas de savoir de quoi est composé un produit, mais pourquoi il y a ces composants, pourquoi on les a mis ensemble et quels seront les effets sur la peau. LA RÉUSSITE DU SPA Ce spa est une réussite car il a une circulation dans l’expérience client qui est quasi parfaite, c’est-à-dire que l’on peut avoir une fréquentation élevée sans que les clients ne se croisent. Et ce spa gagne de l’argent, sinon je ne serais pas là depuis douze ans ! Nous avons une grande équipe, certaines personnes sont avec moi depuis douze ans mais il ne faut pas se leurrer, c’est un milieu où le turnover existe de manière trop importante. Nos thérapeutes sont excellentes et reçoivent beaucoup de propositions et j’en suis très fier. Parfois, elles reviennent après avoir vécu d’autres expériences mais travailler au Beau Rivage est une expérience extraordinaire, inoubliable car nous faisons partie de l’histoire. Imaginez, l’hôtel existe depuis plus de 160 ans et n’a jamais fermé ses portes une seule journée. Je suis très attaché au fait d’intégrer mes collaborateurs dans l’histoire de l’hôtel. MON MANAGEMENT Avec mon équipe, nous partageons cette ambition d’être les meilleurs et moi je veux lui donner les moyens d’être la meilleure. Vous pouvez demander aux personnes les plus compétentes au monde de faire des miracles, si vous ne leur en donnez pas les moyens et si elles n’arrivent pas à les obtenir, les résultats ne seront jamais à la hauteur. La base de mon management, c’est le cercle d’or, c’est une façon particulière d’envisager la formation où on commence par le «pourquoi», ensuite on pense au «comment» et le «quoi» arrive logiquement. Je me passionne pour cette industrie, je suis exigeant mais aussi bienveillant. Notre métier est un métier de bienveillance, on ne va pas demander aux gens d’être bienveillants si nous ne le sommes pas nous-mêmes, c’est un cercle vertueux que l’on doit créer. Les standards Partez sur des standards. Souvent il n’y en a pas ou seulement théoriquement, ça reste dans un beau cahier et c’est tout. Alors qu’il faudrait investir dans la formation et dans le contrôle. Ainsi, chacune de mes collaboratrices est testée une fois par mois par un client mystère. Attention, le contrôle n’est pas là pour sanctionner mais pour s’améliorer, c’est très important. Je suis aussi un inspecteur de la qualité et ma culture c’est l’amélioration continue basée sur le process, le contrôle du process, l’amélioration du process et l’adaptation du process aux besoins du client. C’est un travail avec les équipes, 9 % des process sont issus des propositions de l’équipe. Le chiffre le plus important Les heures supplémentaires, c’est le chiffre le plus important sur lequel le spa manager doit être particulièrement attentif. Je pense que si le manager fait trop d’heures supplémentaires, cela met en exergue le fait que les équipes ne sont pas suffisamment formées ou indépendantes, il faut déléguer et faire confiance, avoir des process importants pour ne pas être là en permanence. Je suis là quand les équipes ont besoin de moi, notamment le weekend, mais je ne suis pas indispensable, mon équipe sait quoi faire. La responsabilisation de l’équipe est une garantie de l’engagement dans leur mission. Ils partagent l’ambition que nous avons définie ensemble, il est inutile d’être derrière eux. La confiance est fondamentale dans une équipe, la confiance contrôlée bien sûre, si on doit faire des heures supplémentaires c’est pour aider les équipes et non pour faire le travail à leur place. Le chiffre le plus important ? Le nombre d’heures sup que vous faites LES CLIENTS EXTÉRIEURS Les non-résidents représentent 65 % des clients qui profitent des 14 000 soins annuels que nous prodiguons au spa. Nous avons également 200 membres, une sorte de numerus clausus qu’il faut conserver absolument car cela permet d’avoir une exclusivité et de ne pas avoir trop de monde dans le spa. Nous avons une liste d’attente qui dépasse les 300 personnes sur les 200 membres acceptés. Pour capter la clientèle extérieure, nous participons à différents événements et nous avons beaucoup développé les bons cadeaux, c’est pour moi un indicateur fondamental, on a la chance d’être un cadeau ! 30% du chiffre d’affaires soin est garanti par des bons cadeaux. Les clients sont si contents des soins qu’ils en offrent, c’est la meilleure opération marketing ! Nous avons 200 membres et une liste d’attente de 300 personnes ! LES RELATIONS AVEC L’HÔTEL Ça a beaucoup évolué, les gens savent qu’il y a un spa dans l’hôtel, ce qui n’était pas forcément le cas au début. Pour faire connaître le spa, j’ai appris aux différents personnels de l’hôtel ce qu’on faisait, je les ai invités à venir nous voir et, lors des formations, les derniers jours sont consacrés au travail sur des clients-collaborateurs de l’hôtel qui viennent vivre une expérience. C’est ainsi que tous les collaborateurs de l’hôtel découvrent le spa. Nous avons également une apprentie qui prodigue exclusivement des soins aux clients internes à des prix défiants toute concurrence uniquement pour couvrir le prix de la matière première. Ils profitent exactement des mêmes standards que n’importe quel client. Faire connaître le spa Le spa n’est pas le corps du business de l’hôtel, il ne faut jamais l’oublier et on ne le sera jamais donc, plutôt que de se plaindre, il faut aller vers les responsables marketing, dans les restaurants, à la réception pour rappeler les activités du spa. Lorsque nous avons des créneaux disponibles, je vais voir le concierge directement. Il ne faut pas être défaitiste mais il faut aussi arrêter de rêver : le spa ne sera jamais la pièce maîtresse d’un hôtel. Le plus important pour moi c’est que mes clients viennent et reviennent, que mes collaborateurs grandissent et que le business soit rentable pour l’hôtel. Un message aux hôteliers Faites-nous confiance, parlons, il faut une compréhension mutuelle et une culture commune car nous nous occupons des mêmes clients et ensemble nous pouvons les rendre satisfaits, consommateurs et surtout fidèles. Mais il faut parler et les managers de spa doivent apprendre à parler comme des hôteliers car ce n’est pas l’hôtelier qui fera l’effort de parler le langage du spa. L’AVENIR L’avenir du spa Selon moi, le mot spa n’a pas d’avenir, le client ne parle plus du spa mais de son bien-être et le spa est un élément de son bien-être mais dans une globalité avec la nutrition, le sport, le soin, le coiffeur et pourquoi pas aussi la médecine, qu’elle soit traditionnelle, moderne ou futuriste ? Notre métier doit évoluer et arrêtons de chercher à savoir pourquoi le spa manager n’est pas connu dans tout l’hôtel. La vraie question est : est-ce qu’il a les moyens de réussir sa mission ? Est-ce qu’il est force de proposition pour aider l’hôtel à être plus attractif pour ses clients ? Il faut vraiment prendre de la hauteur pour que l’hôtel, le restaurant et le spa soient des produits cohérents aux yeux du client pour qu’il puisse les visiter intégralement. L’avenir du spa du Beau Rivage Notre spa commence sa rénovation, nous allons fermer le livre 1 pour ouvrir la nouvelle version ! C’est un beau challenge ! Tant que j’apprends et que je peux apporter quelque chose, je serai toujours là avec une envie de plus en plus grande de partager mon expérience. Trouvez un spa manager qui a douze ans d’expérience ! Toutes les industries doivent avoir leur mentor qui transmet, aide. J’espère que mes assistantes deviendront managers et je fais ce qu’il faut pour ça. C’est notre rôle, en tant que spa manager, de transmettre le flambeau, la passion, la compréhension et surtout sortir de ce discours très négatif des spas affirmant que les relations avec l’hôtelier sont compliquées. Nous ne sommes pas des Caliméro, c’est à nous de prouver que nous sommes performants, au spa du Beau Rivage. Depuis douze ans, nous avons montré que nous étions capables d’être hyper performants et d’être une solution pour l’hôtel et non pas un problème. Le spa est un élément important pour l’hôtel et c’est à nous de prendre cette place.