Par Florence KOWALSKI, Social Media Manager et Ghostwriter spécialisée en hôtellerie et bien-être. Comprendre les enjeux du business model de la thalassothérapie, les points communs avec le spa, les différences de management, les best practices à emprunter, est une vraie opportunité pour les professionnels du spa. En 2024, pour les hôteliers, le spa n’est pas encore au cœur du business model. L’hôtellerie assure sa rentabilité grâce à l’hébergement et à la restauration. On entend encore des directeurs d’hôtel affirmer que le spa n’est pas rentable. La majorité s’accorde quand même pour reconnaître que la présence d’un spa a un effet direct sur les ventes de chambres mais rares sont ceux qui en font le cœur de leur business. À une exception près : la thalassothérapie. Stéphane Quesada a accepté d’échanger avec moi sur ce passionnant sujet. Manager et Directeur Wellness & Spa depuis 10 ans, de Bora-Bora à Saint Jean de Luz, de Saint-Martin à Pornichet, dans des établissements ouverts à l’année ou saisonniers, en thalassothérapie ou en hôtellerie… c’était LE professionnel du spa à interviewer sur ce sujet. Stéphane Quesada « Mon aventure dans l’univers de l’hospitalité a d’abord débuté dans la restauration où j’ai occupé pendant neuf années des postes de responsable en restauration et chef d’entreprise. Ma carrière dans le bien-être a débuté en 2009. Je suis parti en Thaïlande pour étudier la médecine traditionnelle thaïlandaise. De retour en France, j’ai intégré les premières sessions des écoles de spa managers et spa praticiens. Après plusieurs formations, notamment en esthétique, et diplôme en poche, je suis parti à l’international. J’avais vraiment envie de partir à la conquête du monde du spa. Mon parcours professionnel m’a conduit à occuper des postes de direction dans des établissements prestigieux en travaillant dans divers contextes : Tamarind Village***** à Chiang-Mai en Thaïlande, Villa Valmont***** en Suisse, Hôtel Bora Bora Pearl Beach Resort & Spa***** en Polynésie française, Grand Hôtel Thalasso & Spa ***** à Saint-Jean-de-Luz, Le Barthélemy Hotel & Spa***** à Saint-Barthélémy, Royal Palm Beachcomber Luxury***** à l’île Maurice… Ma passion pour l’univers du bien-être m’a conduit à essayer d’améliorer sans cesse l’expérience client et à optimiser les opérations des spas tout en inculquant quotidiennement mon savoir-faire à mes collaborateurs. Ces expériences variées m’ont permis d’acquérir une vision globale et adaptable des meilleures pratiques dans l’industrie du bien-être. Et aujourd’hui, je peux vous affirmer que chaque type de spa présente des enjeux business uniques. » Dans le cas d’un spa hôtelier classique, le spa est encore souvent perçu comme un service peu rentable en soi qui génère surtout des charges très élevées. Qu’en pensez-vous ? Dans le contexte d’un spa hôtelier classique, il est crucial de dissiper cette perception répandue. J’ai pu le constater dans mes précédentes expériences. En réalité, le spa ne doit pas seulement être considéré comme un service générateur de chiffre d’affaires indirect, mais plutôt comme une opportunité stratégique de maximiser la rentabilité globale de l’établissement. Un spa bien géré, offrant des services de qualité, peut renforcer la réputation de l’hôtel en tant que destination bien-être de choix. Des offres bien étudiées et la création d’évènements spéciaux peuvent encourager les clients à prolonger leur séjour ou à revenir régulièrement. Cela crée une augmentation de l’occupation et des tarifs moyens de l’hôtel, ce qui a un impact direct sur les revenus. Quand on parle du revenu du spa, l’erreur serait de ne prendre en compte que le chiffre d’affaires généré par les soins. Dans ce cas, oui, la rentabilité est compliquée même si une bonne tarification peut être une aide précieuse. Après, il faut avoir en tête que, certes, la rentabilité passe par l’augmentation du chiffre d’affaires, mais également par une gestion efficace et une optimisation des coûts. Là aussi, il y a vraiment de la marge à aller chercher… C’est une erreur de limiter le revenu du spa au C.A. généré par les soins On pense toujours qu’en thalassothérapie, le client vient sur place avant tout pour recevoir des soins. Est-ce le cas ? Si oui, quel est l’impact sur la rentabilité ? En effet, la thalassothérapie attire des clients principalement pour des cures incluant de nombreux soins. Cela permet une meilleure optimisation de la rentabilité grâce à des volumes de soins plus élevés. En contrepartie, les centres de thalassothérapie disposent souvent d’infrastructures spécialisées et coûteuses, telles que des piscines d’eau de mer, des équipements de balnéothérapie et des espaces de relaxation. Mais c’est indispensable car en thalassothérapie, la rentabilité est directement liée à la capacité à offrir un gros volume de soins de qualité. Ce volume de soins est d’autant plus intéressant qu’il permet d’optimiser l’utilisation de ces installations et de répartir les coûts fixes sur un nombre plus élevé de clients. Donc si les plannings de soins sont faits de façon stratégique, le coût de ces infrastructures passe bien. D’ailleurs, apprendre à gérer un planning en thalasso est très instructif quand on débute dans ce domaine… Les soins en thalassothérapie sont généralement vendus plus cher en raison de leur spécialisation et des bénéfices uniques qu’ils offrent, comparés aux soins de spa traditionnels. Pour toutes ces raisons, une augmentation des volumes de soins peut augmenter de façon significative les revenus générés par le centre. On dit souvent que l’entrée espace bien-être est le produit le plus rentable en spa car il induit très peu de charges variables. Qu’en pensez-vous ? C’est vrai que l’entrée espace bien-être implique principalement des coûts fixes et semi-fixes, tels que les salaires du personnel, les frais généraux et l’entretien des installations. Les coûts associés à la consommation (comme l’eau, l’électricité et les consommables) sont souvent modestes comparés à d’autres services comme les massages qui nécessitent la présence d’une thérapeute. En raison de ses charges variables réduites, l’entrée espace bien-être reste très rentable et peut être vendue en plus grandes quantités. Ce produit permet d’attirer une clientèle plus large et diversifiée qui décidera peut-être ensuite de faire un massage. Comment définir le prix de l’espace bien-être et donc la rentabilité ? Pour définir le meilleur prix possible et maximiser la rentabilité de l’entrée espace bien-être, il y a trois éléments à prendre en compte : – Vous devez d’abord analyser le marché, c’est-à-dire évaluer les prix pratiqués par la concurrence pour comprendre ce qui est acceptable. Si vous êtes trop cher, vous ne vendrez pas. – Mais parfois, surtout quand on a un très beau spa ou quand on est dans une destination avec une clientèle qui a un bon pouvoir d’achat, on a tendance à sous-estimer le prix que les personnes sont prêtes à payer pour ça. C’est la notion de « valeur perçue » et c’est le second élément à prendre en compte. Enfin, il ne faut pas hésiter à adapter les tarifs en fonction des clientèles et de la période. Par exemple en offrant des réductions aux clients qui sont à l’hôtel si l’accès n’est pas inclus dans le prix de leur chambre ou en ajustant le prix d’un accès à l’espace bien-être au prix des chambres si celui-ci baisse, pour rester réaliste par rapport au budget client. Dans l’hôtellerie de luxe, le prix des chambres peut être multiplié par trois entre la saison la moins chère et la plus chère. Si le tarif d’accès à votre espace bien-être ne suit pas, vous passerez forcément à côté de nombreuses ventes car vous resterez trop cher. Comment se répartit le chiffre d’affaires entre massages et accès espace bien-être dans une thalassothérapie par rapport à un spa hôtelier traditionnel ? Je dirais que les massages pèsent plus lourd dans le chiffre d’affaires des spas hôteliers traditionnels où ils sont proposés comme des traitements de luxe et de détente, tandis que dans les centres de thalassothérapie ils sont souvent intégrés dans des programmes de soins complets. En général dans les packages, on essaie de créer de la valeur et de mettre plus de choses pour avoir un prix facial plus attractif. Donc les prix unitaires des soins sont moins élevés (on peut se le permettre, le client ne les voit pas…) et, comme il y a plus de prestations (accès à différents bassins, autres soins manuels ou semi-manuels…), leur poids dans le chiffre d’affaires global est moins important. Concernant le chiffre d’affaires « accès espace bien-être », quel que soit l’endroit, il sera toujours moins élevé car : – le prix unitaire est plus faible, – les volumes ne sont pas illimités, pour préserver l’expérience client. Mais au-delà de sa rentabilité, c’est du chiffre d’affaires qui ne fatigue pas les thérapeutes et ça, ça n’a pas de prix pour leur santé physique et mentale et pour la pérennité du chiffre d’affaires. Il y a aujourd’hui une vraie problématique d’expérience client en spa hôtelier avec l’accès des enfants de plus en plus réglementée. Comment gérez-vous cela en thalasso ? En thalassothérapie, nous gérons l’accès des enfants de manière stratégique et réfléchie pour garantir une expérience client optimale. Nous avons mis en place des créneaux horaires spécifiques durant lesquels les enfants sont autorisés à accéder à certaines installations, telles que les bassins. Ainsi nous ménageons à la fois les familles, qui peuvent passer un moment privilégié ensemble pendant leur séjour, même si ce temps est encadré, et les adultes seuls qui sont venus justement pour être au calme… En formant notre personnel afin qu’il puisse communiquer clairement sur ce sujet, nous arrivons à maintenir un équilibre entre la tranquillité des clients adultes et l’accueil des familles. Cette question des enfants peut sembler anodine mais c’est au contraire un point essentiel pour maintenir notre réputation de destination bien-être de premier plan. En thalasso, nous gérons l’accès des enfants de manière stratégique et réfléchie Parfois, cela va plus loin. Dans certains des établissements où j’ai travaillé, il y avait parfois une piscine dédiée seulement aux adultes et j’ai l’impression que ça se voit aussi de plus en plus en France. Parlons des charges : est-ce que le modèle de charges est le même en thalassothérapie qu’en spa hôtelier ? Les spas hôteliers et les centres de thalassothérapie ont pas mal de points communs en termes de charges de personnel et de maintenance. Mais les centres de thalassothérapie supportent des charges supplémentaires significatives en raison des infrastructures spécialisées telles que piscines d’eau de mer, équipements de balnéothérapie et systèmes de filtration et de chauffages complexes. Ces infrastructures ont un taux d’usure très élevé dû à l’effet corrosif de l’eau de mer. Les interventions de maintenance sont plus nombreuses et si vous en faites l’économie, vous risquez des pannes qui sont catastrophiques en termes de gestion des avis clients : les clients considèrent qu’ils paient le plein tarif, donc ils doivent avoir accès à 100 % des installations… De plus, une infrastructure en moins, c’est de l’espace disponible en moins pour répartir les clients. Donc si on veut maintenir la même expérience client, on devrait dans l’absolu accueillir moins de monde… Une installation en panne, ce n’est pas une charge directe mais ça a un effet indirect sur le chiffre d’affaires. De plus, en complément des esthéticiennes, les centres de thalassothérapie emploient souvent des professionnels de santé, tels que des kinésithérapeutes, des ostéopathes, des hydrothérapeutes et des médecins spécialisés. Cela signifie : – des salaires et donc des charges salariales associées plus élevées, – des exigences de formation continue plus importantes et donc plus coûteuses. Ces charges sont en général imputées intégralement à la thalassothérapie, à la différence de ce qu’on voit dans la plupart des spas hôteliers où l’entretien, le chauffage et le linge de la piscine sont souvent pris en charge par l’hôtel. Elles pèsent donc plus lourdement sur la rentabilité. Quid des ressources humaines : est-ce qu’une thérapeute en thalassothérapie a le même profil qu’en spa hôtelier ? Les thérapeutes en thalassothérapie et en spa hôtelier peuvent avoir des formations similaires pour ce qui est des massages et des soins de bien-être. Par contre, en thalasso, il faut également des compétences en hydrothérapie car l’eau est un élément de soin à part entière. Les softskills telles que l’empathie, la communication et la discrétion sont essentielles dans les deux contextes, mais les attentes peuvent varier selon le type de clientèle et surtout la raison de leur venue. Nous avons de plus en plus de séjours à thème en thalasso, donc un client qui vient ici parce qu’il se sent trop stressé et a besoin de « couper » n’est pas dans le même état d’esprit qu’un client qui vient faire un break en famille et pour qui la thalasso n’est qu’une activité parmi d’autres. Comprendre le contexte du client et adapter son discours sur le fond et sur la forme est une qualité clé pour une thérapeute en thalasso mais un peu moins stratégique en spa hôtelier où les attentes des clients sont moins variées. Le recrutement est-il le même en thalasso et en spa ? Pour le recrutement, à mon sens, il est beaucoup plus complexe en thalassothérapie car le rythme de travail est très soutenu. De plus, les équipes doivent jongler entre des soins spécifiques et des soins plus traditionnels de spa et ça, c’est une forme de polyvalence qui peut leur créer de la charge mentale si ça ne correspond pas à leur tempérament. Quant au turn-over, il fait aujourd’hui partie de notre quotidien de manager. Nous devons nous adapter à cette nouvelle société post Covid. La différence par rapport à un spa traditionnel est que nous devons maintenant prévoir des formations hebdomadaires pour ne pas perdre en qualité de soins, moins nécessaire en spa hôtelier où, par exemple, un massage sportif reste un massage sportif, quel que soit le protocole. Les thérapeutes savent tous le faire et n’ont pas besoin d’être formés en cas de turn-over. En tant que manager, diriez-vous que les deux établissements sont comparables ? Y en a-t-il un plus challenging que l’autre ? Et existe-t-il des qualités de spa manager plus propices au spa hôtelier, d’autres plus propices à la thalassothérapie ? Pour moi les deux types d’établissements sont vraiment différents. Les spas hôteliers traditionnels sont plus complexes à rentabiliser sur la base de leurs seuls revenus en raison des coûts élevés et du caractère secondaire du spa (quoi qu’on en dise, c’est une réalité). L’enjeu en tant que manager n’est pas tant la rentabilité à tout prix (car elle est compliquée) mais la qualité des soins et de l’expérience client avec une surveillance scrupuleuse des charges et de l’optimisation du planning, car c’est aussi là que peut se jouer la rentabilité. La thalassothérapie nécessite également une gestion rigoureuse des charges spécifiques mais aussi une expertise dans les soins spécialisés, même pour le manager qui doit piloter tout ça. Elle est plus rentable en soi mais c’est surtout son impact sur le chiffre d’affaires de l’hôtel (hébergement et restauration) qui fait la différence. En effet, la thalassothérapie dans un établissement hôtelier est LA principale raison pour laquelle les clients séjournent sur place. C’est une différence clé par rapport au spa hôtelier traditionnel. Le management en thalasso peut aussi être plus complexe en termes de gestion des ressources humaines, de commercialisation, et de maintenance des installations, tandis que les spas hôteliers pêchent plus souvent en termes de marketing et de rentabilité (comme on considère qu’ils ne sont pas stratégiques, on ne communique pas dessus…). Enfin, piloter un centre de thalassothérapie demande des compétences plus spécifiques dues à une gestion plus conséquente du personnel (maîtres-nageurs, médecins, kinésithérapeutes, ostéopathes, coachs sportifs, diététiciens, thérapeutes spécialisés…). La spa manager doit également avoir une vraie sensibilité technique pour s’intéresser au fonctionnement des installations. Spa hôtelier ou thalassothérapie : ce sont deux expériences très complémentaires avec peut-être une dimension un peu plus business, comparable à une entreprise bien distincte des autres services hôteliers pour la seconde. En tout cas une expérience que je recommande à 100 % ! Chaque type de spa présente des enjeux business uniques