L’architecture d’intérieur d’un spa : secrets d’artiste

Par Galya ORTEGA.

Le professionnalisme de l’architecte d’intérieur doublé d’une vision artistique n’est pas si fréquent, d’autant plus si cela doit se conjuguer avec la maîtrise des techniques propres au spa. Alexandre Pierart propose de vrais concepts spa rentables.

Alexandre Pierart

Alexandre Pierart

TOUS LES ARCHITECTES NE SONT PAS DES EXPERTS DU SPA !

Trouver un véritable spécialiste des espaces de bien-être n’est pas si simple. Depuis l’avènement des spas, de nombreux architectes classiques se positionnent sur ce marché qui s’avère assez juteux ! Hélas, très souvent, il y a une méconnaissance des contraintes techniques des spas et un manque d’appréhension des leviers de rentabilité. Ou alors, on se retrouve avec des spas qui se ressemblent tous. Cela fait des années que j’ai l’œil sur Alexandre Pierart, il a de très belles références et il est connu pour sa créativité et son pragmatisme. Il fait aussi bien des spas que des hôtels, des restaurants, des corners de grands magasins, etc. Il sait ce qui fait du bien au client et sur quoi repose un soin réussi. Il était évident qu’il avait de vrais secrets à partager.

LES CONTRAINTES ET LES ATTENTES CLIENT COMME POINT DE DÉPART

Rien ne peut se faire sans comprendre très en détail l’attente du client. Démarrer seul avec enthousiasme, même avec de belles idées, c’est courir un gros risque de ratage. Alexandre Pierart s’astreint à ressentir, analyser et étudier afin de proposer un vrai projet. Cela peut être énoncé clairement par le client. Parfois l’architecte fait sa propre analyse et trouve lui-même l’univers architectural afin de raconter une histoire unique et indépendante. Alexandre étudie pour découvrir le projet commercial de son client, comprendre ses besoins de rentabilité : comment le spa va être une source de revenus. Voilà le fruit du dialogue avec le client et de là découle le dimensionnement du projet, sa taille, mais aussi les équipements, le nombre de salles, la taille de la boutique… Tout cela dans le but d’optimiser la rentabilité car il faut être lucide, nous sommes là pour faire gagner de l’argent aux spas. L’architecte se doit de démontrer la rentabilité directe et indirecte. Et cela se prévoit dès l’origine.

ADAPTER LE SPA AU CONTEXTE

Prenons en exemple deux créations d’Alexandre Pierart : le spa du Beaurivage Palace à Lausanne et le projet Spa Cinq Mondes à La Samaritaine dont l’ouverture est prévue en 2021 à Paris.

Dans un hôtel, comme le Beaurivage Palace, on doit s’intégrer et comprendre quelles sont les qualités et spécificités de l’hôtel y compris vis-à-vis de sa concurrence. La stratégie consiste alors à proposer quelque chose dans la continuité de l’hôtel mais qui fait vivre une expérience différente au client. Donc, Alexandre Pierart a étudié toutes les propositions de l’hôtel : le restaurant, les chambres, le jardin, les bars. Ainsi lorsqu’on arrive au spa, on doit être à la fois dans la continuité et la différence afin d’offrir des expériences spécifiques au client tout en respectant la philosophie du Palace qui est le luxe raffiné, l’ouverture sur la nature, l‘élégance des matériaux et la personnalisation de l’accueil.

À La Samaritaine, il s’agit d’un spa dans un grand magasin situé dans la zone bien-être qui sera la plus grande d’Europe. De la même manière qu’on dialogue avec un hôtel ou un grand magasin pour s’intégrer à sa philosophie tout en répondant aux besoins de l’exploitant du spa. L’enjeu est de faire venir les clients et de leur faire vivre une expérience particulière mettant en valeur la marque. Il faut créer une continuité entre une ouverture avec un espace de vente, pour suivre dans l’espace du spa plus intime protégé de l’agitation du grand magasin, et pour arriver enfin à la salle de massage où le client est totalement dans son intimité.

LES FAUSSES BONNES IDÉES EN ARCHITECTURE SPA

Pour Alexandre, tous les « effets de manches » sont de fausses bonnes idées qui détournent le spa de l’essentiel, de ce pour quoi il existe. Voici les deux erreurs fondamentales :

Les grands miroirs

Souvent, dans les salles de soins, il y a de grands miroirs. Dans une cabine, en général, on est nu et peu apprêté, on a surtout envie d’être protégé. On n’a pas envie de s’apercevoir dans une posture de vulnérabilité. On a davantage envie de lâcher-prise loin du regard de qui que ce soit, y compris le sien. « Pour moi, tous les gadgets détournent le client de ce pour quoi il est là. Pour deux raisons : bénéficier des bienfaits d’un massage et acheter des produits. »

La boutique !

La boutique ! Question cruciale : ou bien transformer la boutique en supérette ou en faire un coffre-fort ? Les hôteliers ont peur de se faire voler les produits, donc ils ferment tout à clé alors que les produits doivent être mis en valeur, comme les espaces, comme le hammam, et cela ne doit pas être mis à distance du client qui doit avoir une relation sensorielle avec les produits, évidemment guidé par la thérapeute. Tout doit être accessible. Donc, tout ce qui éloigne les produits du client pour vouloir trop les protéger est une mauvaise idée. Il faut savoir gérer le flux afin de gérer les clients pour ne pas avoir de vols.

LE PARCOURS CLIENT À LA PREMIÈRE PLACE

Le client va suivre un parcours qui va le conduire de surprise en surprise et surtout lui faire vivre des expériences de « waou effect » en « waou effect ». Tout ce parcours est essentiel. C’est la force du spa : le soin aura un vrai impact sur lui car il est prêt à le recevoir. Cela fait une grande différence avec les endroits où on arrive encore stressé sur la table de massage et où le soin est nettement moins efficace.

Le client doit suivre un parcours qui le mène de surprise en surprise

De l’expérience à chaque étape du parcours

Dans ce parcours, il y a des moments d’attente où le client est accueilli en buvant une boisson rafraîchissante ou apaisante. Il y a aussi des espaces comme les couloirs, les salons, qui sont ce qu’on qualifie de « non rentables » et d’autres espaces comme le hammam, le sauna ou des bassins qui peuvent faire partie du parcours et, selon le modèle financier, qui peuvent être gratuits ou payants. Le principe de la composition des espaces est de proposer au client, à chaque fois qu’il change de direction ou qu’il pénètre dans un nouvel espace, un élément visuel ou plus généralement sensoriel qui suscite son étonnement ou son envie.

La contrainte transformée en expérience

Prenons encore un exemple compliqué pour mieux comprendre : Le Kempinski du Palm Jumeira à Dubaï où l’arrivée entre hôtel et spa est complexe. Il s’agit d’un espace très long et très étroit. C’est-à- dire que pour arriver de l’hôtel au soin il faut passer par 4 couloirs et 4 zones différentes. La question était : Comment faire en sorte que ce parcours soit une succession d’expériences ? Alexandre a segmenté la circulation, il a travaillé chaque espace avec une décoration particulière depuis un style qui dialogue avec celui de l’hôtel très clinquant, baroque mais par une relecture minimaliste jusqu’à arriver à quelque chose de très intimiste. C’est devenu un espace totalement enveloppant, très japonisant : on passe de l’Orient au Japon au travers d’une succession d’espaces ou d’expériences visuelles et tactiles. La contrainte est devenue une expérience positive, un voyage authentique. Tout s’est transformé en des moments de mystère, d’intériorisation. Ce fut également un gros travail sur la lumière.

LA CABINE DE SOIN, LE POINT D’ORGUE DE L’EXPÉRIENCE

Le principe est que la salle de soins soit fonctionnelle et qu’elle corresponde à ce qui va s’y passer : le massage, éventuellement un gommage, un enveloppement et parfois une douche. C’est l’espace où on a le plus longtemps les yeux fermés. Quel que soit l’environnement, l’ouverture sur l’extérieur est secondaire (précisons que la vision est très différente entre une salle à Paris ou un lagon à Bora Bora), même si on regarde une minute en arrivant et de même en repartant. On est connecté à l’extérieur uniquement à travers les mains du thérapeute. Donc l’ostentatoire souhaité par certains porteurs de projets est décalé par rapport à la véritable nécessité. Et c’est très compliqué d’expliquer cela aux clients car concrètement ils veulent que la salle de massage soit l’image représentative de leur spa.

Le mystère plutôt que l’ostentatoire

« Ce que j’aime bien faire, c’est créer un mystère ou une expérience et pour cela je me sers de la lumière qui va être baissée progressivement puis remontée en fin de soin. La modulation de la lumière est le point essentiel. Pour moi, tout doit être le plus sobre possible afin de mettre en valeur l’expérience du soin qu’on reçoit dans la salle de massage. Je privilégie l’abstraction qui permet le recentrement et le lâcher-prise, plutôt que les éléments décoratifs même les plus plaisants qui de fait perturbent cette intériorité. Dans la cabine, la priorité est donnée à l’expérience intérieure ; dans la boutique le plus important est l’identité de marque avec toute sa sémantique décorative. »

L’EXPÉRIENCE SENSORIELLE DÉTERMINANTE POUR LA RÉUSSITE DU PARCOURS CLIENT

Il est évident que le savoir-faire en soin est primordial, ainsi que le savoir-faire technique, olfactif, visuel et gestion des espaces. Le spa doit être un écrin pour la mise en valeur de ces savoir-faire et apporter une dimension supplémentaire qui en fait une expérience unique vis-à-vis des autres établissements. Un spa est un lieu complet avec une expérience sensorielle qui fait vivre un voyage et permet au client d’être dans le meilleur état possible pour que son soin soit le point d’orgue d’un parcours dont Alexandre se sent responsable.

La mission de l’architecte

Tout le parcours doit le préparer afin qu’il soit en parfaite synergie sensorielle et mentale et que le massage soit un vrai plaisir. « C’est cela ma mission d’architecte : transformer un espace en une succession d’expériences dont le firmament, l’aboutissement est le massage. Et cela va dans le sens de l’entrée comme de la sortie. Tout doit se faire en douceur et par étapes en offrant une expérience de bien-être de tous les sens au client, pour le faire se détacher, se recentrer sur lui-même et reprendre des forces. » Par exemple, lorsque le client arrive devant une grande paroi décorée qui tout à coup s’ouvre et s’efface pour laisser apparaître un nouvel espace avec un élément décoratif puissant et étonnant.

À FAIRE / À NE PAS FAIRE DANS LES ESPACES DE RELAXATION

Il faut faire la différence entre la salle de relaxation d’avant le soin, lorsque le client attend sa thérapeute et la salle de repos d’après soin où il prend quelques minutes avant de repartir vers l’extérieur. Parfois ces espaces sont différents et parfois ils sont confondus selon la dimension du spa.
Prenons l’exemple de la salle de repos d’après le soin. C’est un espace de demi-sommeil et de rêve. Ce lieu ne doit pas être trop éclairé, le pire ennemi étant la vue sur les espaces extérieurs, sauf si ce sont des jardins zen ou un paysage magnifique.
Il est important de ne pas reconnecter trop vite le client avec l’extérieur, donc les baies vitrées ne sont pas positives. Mais attention ! Tous les clients ne sont pas adeptes des salles de relaxation.
C’est une erreur que cet espace soit trop grand ou trop petit. Les clients ne doivent être pas trop proches les uns des autres ni trop éloignés pour ne pas se sentir perdus dans un grand espace. Le dimensionnement est stratégique.

Créer un parcours client surprenant

Alexandre Pierart nous explique : « Je le surprends par le parcours que je vais lui proposer, par l’efficacité commerciale des espaces et leur qualité expérientielle. Un espace efficace commercialement met en valeur la marque et les produits et donne envie d’acheter de façon naturelle et spontanée tout en prolongeant la sensorialité et le plaisir ressenti lors du soin. Je lui démontre que je connais bien sa marque et lui permets d’aller plus loin. Je travaille sur la charte architecturale, la philosophie du soin, le parcours client et thérapeute. Je définis des étapes de parcours particulier pour la mise en condition du client avant le soin. D’autre part, je pense à tous ces espaces souvent négligés : les lieux de stockage, de livraison, des produits, le labo de préparation, la salle de détente du personnel. Tout cela doit se croiser de façon qualitative pour que le soin soit le plus agréable pour le client et soit le plus pratique pour l’équipe du spa. Tout est dans le parcours. »

TROUVER L’INSPIRATION ET SE RENOUVELER

Alexandre Pierart s’astreint à visiter des spas autant que possible, il lit beaucoup de revues et se tient au courant de l’actualité dans ce domaine. Tous les spas et les hôtels peuvent offrir des expériences différenciantes dans la concurrence aujourd’hui. Alexandre suit ses goûts personnels et cherche son inspiration architecturale et décorative dans l’art contemporain, la nature et la littérature.

Le secret de son succès

Son secret est de travailler en étroite collaboration, de se tenir au courant de tout, d’être en éveil sur tout ce qui se fait en particulier aux États-Unis qui sont très en avance dans le domaine du wellness. Par exemple, à une époque, le spa, c’était les massages et tout était conçu autour de cette activité centrale. Aujourd’hui, ce sont les cours de yoga, le qi gong, la méditation. C’est très différent au niveau de l’intégration.
« Au Beaurivage Palace à Lausanne, j’ai mis en place des salles de yoga et de méditation, mais j’ai réfléchi également avec le directeur du spa aux boissons qu’on pouvait offrir aux clients afin de les intégrer dans le parcours global conçu par la directrice de l’hôtel. Je me pose toujours la question de la manière dont évolue le bien-être et quelles sont les attentes des clients. Je tiens toujours compte de ces deux axes afin de travailler des expériences très agréables. Le bien-être doit aller jusqu’au bout et je l’intègre vraiment dans tout, quel que soit mon projet. »

Retrouvez Alexandre Pierart, samedi 3 octobre à la conférence « Architecture et décoration, principes et innovation » animée par Galya Ortega dans le Village Spa de Beauté lors du Congrès International Esthétique & Spa, Paris, Porte de Versailles.

Alexandre Pierart,
l’homme qui donne corps aux « histoires de bien-être »

Alexandre Pierart est quelqu’un de « différent » et qui apporte un point de vue original sur les espaces du spa. C’est le fondateur de Suprem Architectures – nom commercial de APS.A. Après une expérience de chantier chez Valode et Pistre, il intègre l’agence de Didier Lefort (DL2A) en 2000, avec qui il réalise de nombreux projets d’architecture, d’architecture intérieure et de master planning dans les domaines du luxe, du tourisme et de l’hôtellerie. Il travaille dans le monde entier pour des particuliers et des grands groupes et opérateurs hôteliers (Alliances Maroc, Starwood (W et Méridien), Kerzner (One and Only), Four Seasons, LVMH (Cheval Blanc), Pierre & Vacances, Club Méditerranée ou Porto Bay.

En 2011, alors chef d’agence depuis plusieurs années, Alexandre Pierart crée son propre studio : APS.A Suprem Architectures, un studio pluridisciplinaire – architecture, architecture d’intérieur, design – qui développe une approche résolument contemporaine mais également pragmatique et intemporelle : au mot fourre-tout « durable », il préfère le principe essentiel de « contextuel ». Suprem Architectures collabore en France et à l’étranger avec de grands acteurs de l’hôtellerie et du spa : la Société des Bains de Mer à Monaco, Cinq Mondes, Golden Tulip du Groupe Louvre Hotels, Fondation Sandoz (Beau Rivage Palace, Lausanne), Kempinski (Palace Palm Jumeirah, Dubaï), Mama Schelter, et pour des acteurs du commerce et de l’immobilier : La Samaritaine, Groupe Élysées Monceau, AS Associés, ou des particuliers…

Selon Alexandre Pierart, l’architecture est une discipline globale, dont la finalité se situe au-delà d’une réponse à des contraintes et des usages. Quelle est cette histoire que le client veut raconter ? Quelle dimension abstraite le projet doit-il exprimer au-delà de tout ce qui le constitue ? La stratégie d’un projet est aussi importante que la mise au point minutieuse des détails et le suivi de leur mise en œuvre.

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